Alors que s’amorce le plan pour le numérique à l’école, la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, annonce dans un entretien au Monde combien d’élèves seront concernés à la rentrée 2016, et précise les effets et enjeux de ce projet initié en septembre 2014 par François Hollande.

Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, mercredi 20 avril à Paris. AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK | PATRICK KOVARIK / AFP

Concrètement, que changera ce plan pour les élèves ?

La plupart des départements et établissements ont prévu de doter les élèves – essentiellement des collégiens – d’une tablette, plus rarement d’un ordinateur portable, qui leur servira jusqu’à la fin de la 3e et qu’ils ramèneront chez eux le soir. Ces outils pourront être utilisés dans toutes les disciplines, du français aux mathématiques en passant par les langues vivantes ou même le sport. Cela ne veut pas dire que les outils numériques seront omniprésents, et il n’y a pas un quota d’heures prévues. Mais cela permettra aux enseignants de développer le travail collaboratif, de diversifier et surtout d’individualiser les apprentissages.

Pour les aider, nous avons financé la création de ressources numériques dans plusieurs matières, qui seront rassemblées dans une bibliothèque en ligne à compter d’août. Il s’agira en quelque sorte d’une « réalité augmentée » des programmes, du CM1 à la 3e : pas de simples manuels scannés, mais des modules théoriques sur les différentes notions, des vidéos, exercices, ou encore des logiciels facilitant l’apprentissage des disciplines.

Chaque élève aura un mot de passe pour accéder à son espace numérique de travail : il y retrouvera les ressources téléchargées à la demande de l’enseignant, ses travaux en cours, ainsi que les principaux journaux, en version numérique. Ses données seront protégées et sécurisées.

Votre plan numérique doit concerner l’ensemble des collèges à la rentrée 2018. Combien d’élèves seront impliqués à la prochaine rentrée ?

Les élèves de 5e d’au moins 1 510 collèges seront concernés en septembre, sans doute plus, puisque l’appel à projets continue. Cela représente 25 % des collèges publics, et plus de 175 000 élèves au total. Nous n’avons pas voulu imposer un plan venu d’en haut, ni « parachuter » du matériel : c’est aux départements, et aux établissements, de se porter volontaires, après avoir réfléchi à l’utilisation des outils au service des apprentissages. Tout le territoire national est finalement couvert, avec parfois 100 % des collèges d’un même département embarqués dès cette première rentrée. Les élèves de CM1 et CM2 de 1 236 écoles primaires seront aussi impliqués : non ciblées par le plan à l’origine, ces écoles ont été incluses à leur demande, avec l’idée que dans certains réseaux, notamment ceux de l’éducation prioritaire, il est bénéfique de commencer tôt.

Presque tous les départements ont choisi d’équiper les collégiens de tablettes. Or diverses études ont pointé les limites de leur utilisation à des fins d’apprentissage, et certains y voient un côté « gadget »…

Nous avons préféré laisser les départements se prononcer, en fonction des projets de leurs établissements, tout en finançant 50 % de ce matériel, ce qui est inédit. Presque tous ont choisi des tablettes, plus maniables, mais avec des claviers. Une évaluation globale du plan débutera en septembre.

Je ne partage pas l’idée, largement répandue, selon laquelle les « digital natives » n’ont pas besoin d’être acculturés au numérique en classe au motif que ces outils avec lesquels ils sont quasiment nés leur seraient déjà suffisamment familiers. Etre familier d’un outil, ce n’est pas en être connaisseur. L’école a vocation à développer l’autonomie des futurs citoyens, y compris vis-à-vis des machines, et pour cela, il faut comprendre leur fonctionnement.

Une vaste étude de l’OCDE portant sur ses 34 pays membres, a montré qu’investir dans le numérique ne suffit pas. Les résultats des élèves peuvent même baisser si les méthodes d’enseignement n’évoluent pas…

En effet. L’innovation pédagogique est très importante, et notre plan finance des projets de recherches sur ce thème. Les outils numériques, loin de remplacer les enseignants comme certains le fantasment, renforcent encore leur rôle. Il leur revient d’accompagner, guider, individualiser les apprentissages en fonction des élèves… De même, il est faux de penser qu’on trouve tout sur le web et qu’il devient inutile d’apprendre. C’est grâce aux savoirs et usages acquis en classe qu’un élève développera son esprit critique et son jugement, et pourra se servir à bon escient d’Internet.

Lire le compte-rendu de l’étude de l’OCDE  : En classe, le numérique ne fait pas de miracles

François Hollande avait promis au lancement du plan, en juin, un effort de formation « exceptionnel » des professeurs, qu’en est-il ?

D’ici début juillet, tous les enseignants des collèges auront bénéficié de trois jours de formation obligatoire. Une formation en ligne, m@gistère, leur permet d’aller plus loin s’ils le souhaitent. Les enseignants sont également nombreux à échanger leurs bonnes pratiques numériques sur leur « réseau social », ViaEduc, qui compte déjà 90 000 utilisateurs. Lors de mes déplacements dans des établissements préfigurateurs, j’ai rencontré de nombreux enseignants qui se sont saisis du numérique avec enthousiasme. Et je serai très attentive à leurs retours, une fois le plan déployé.

Est-il judicieux de consacrer 1 milliard d’euros à ce plan numérique, alors que l’étude de l’OCDE a montré que les compétences numériques des élèves français sont déjà au-dessus de la moyenne, tandis qu’ils sont moins bons que leurs camarades en maths notamment ?

Ce plan ne se concentre pas sur les seules compétences numériques, il vise à améliorer les apprentissages dans toutes les matières. La révolution numérique me paraît aussi majeure que celle de l’imprimerie, avec des effets analogues : au-delà de l’innovation technique s’engage une dynamique intellectuelle et d’immenses potentialités. Le numérique n’est pas un simple tuyau qui permet d’aller plus loin et plus vite. Il doit être exploité dans toutes ses dimensions.

Un exemple : je constate, lors de visites dans des classes passées au numérique, que son utilisation change le rapport à l’erreur. Un élève qui s’exerce au calcul mental sur sa tablette ne craint pas de se tromper et d’être jugé. Plus confiant, il peut beaucoup mieux progresser. Or les études PISA (Programme for International Student Assessment) de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) nous montrent que si les élèves français obtiennent de mauvais résultats, notamment en maths, c’est justement par peur de l’erreur : dans les QCM d’évaluation, ils préfèrent ne pas répondre que de se tromper ! Le plan devrait aussi faciliter les apprentissages des collégiens en situation de handicap, de dyspraxie ou de dysphasie par exemple : les ressources numériques qui seront proposées aux enseignants comporteront des fonctionnalités spécialement conçues pour ces élèves.

Que pensez-vous de l’apprentissage du code informatique à l’école ? Les experts sont partagés sur l’opportunité d’y consacrer du temps, au détriment d’autres disciplines…

A l’école primaire, des ateliers de codage sont proposés dans le cadre des activités périscolaires. Au collège, les nouveaux programmes, qui seront appliqués à la rentrée 2016, prévoient de renforcer les acquisitions dans ce domaine notamment en cours de mathématiques et de technologie (programmation informatique, algorithmique…). Cela me paraît fondamental, à la fois pour comprendre et maîtriser notre environnement numérique, et parce que le codage favorise la logique, l’ordonnancement de la pensée.

Au lycée, l’option Informatique et sciences du numérique permet d’aller plus loin dans la maîtrise des outils. Auparavant réservée aux élèves de terminale scientifique, elle est depuis cette année proposée en enseignement d’exploration, en classe de seconde. Elle pourra être poursuivie ensuite, y compris par les élèves des séries littéraire et économique et sociale : il est essentiel d’acculturer largement au numérique, car tous les métiers seront concernés.

Votre plan est concentré sur les élèves de 5e, qu’est-il prévu ensuite, jusqu’aux études supérieures ?

Il débute en effet en 5e, qui marque le début du 4e cycle d’apprentissage, et se poursuivra durant les années de 4e et de 3e. Concernant les lycées, beaucoup d’élèves sont déjà équipés en matériel, mais je sens un intérêt des présidents de région pour développer des partenariats autour du numérique. Dans l’enseignement supérieur, 95 % des étudiants sont déjà équipés de leur propre ordinateur, qu’ils amènent en cours. L’accent a donc été mis sur les contenus, à travers le portail sup-numerique.gouv.fr, qui propose 30 000 ressources pédagogiques en ligne, et le développement de MOOCs : ces cours en ligne, rassemblés sur la plate-forme FUN, totalisent 1,7 million d’inscriptions.

L’enseignement public prépare-t-il suffisamment aux métiers de demain ? 24,3 % des jeunes Français sont au chômage, tandis que le secteur du numérique peine à recruter…

Notre offre de formation est aujourd’hui diversifiée : chaque année, on dénombre 24 000 diplômés du public en informatique, du BTS ou DUT au doctorat, dont plus de la moitié de niveau bac + 5 ou plus. Mais oui, il fallait aller plus loin et permettre en particulier des qualifications plus rapides dans ce domaine, c’est ce qui nous a conduit à créer cette année la « Grande école du numérique », c’est-à-dire un soutien public à 170 formations labellisées portées par des associations, des entreprises ou encore des établissements à travers tout le pays. L’objectif est de former à ces métiers 10 000 jeunes peu qualifiés d’ici un an.

L’effort se poursuit, enfin, avec la création que j’ai souhaitée de 500 nouvelles filières de CAP et Bac pro à la rentrée 2017. Beaucoup porteront sur ce domaine, une étude de France stratégie ayant montré d’importants besoins dans les années à venir.

Sur la sélection en master à l’université, votre projet de décret reste au milieu du gué, d’autant que des failles juridiques demeurent. Comptez-vous aboutir à une solution plus satisfaisante pour la rentrée 2017, et seriez-vous prête à permettre une sélection à Bac + 3, à l’entrée en master ?

Le décret que nous allons publier permet de sortir les établissements qui sélectionnaient à l’entrée du M2, en héritage des anciens DEA/DESS, d’une insécurité juridique préjudiciable. Je constate qu’aucun des ministres qui m’ont précédés, parmi lesquels certains donnent aujourd’hui des leçons, n’avait pris le décret attendu depuis 2002. Ce sera chose faite dans les M2 où c’est nécessaire, c’est-à-dire dans ceux ayant de réelles contraintes de places, ce qui n’est fort heureusement pas le cas partout. C’est d’ailleurs le Conseil d’Etat qui, dans sa décision, nous avait demandé que la liste du décret soit clairement limitative.

Pour la suite, nous allons ouvrir une concertation avec l’ensemble de la communauté universitaire (personnels, étudiants, établissements…) et les acteurs socio-économiques. Je ne souhaite pas à ce stade préempter les conclusions de cette réflexion.