Dire que la NBA a vécu une nuit historique est un doux euphémisme. Alors que Los Angeles fêtait la fin des vingt ans de carrière de sa légende Kobe Bryant, les fans des Golden State Warriors célébraient, à quelques centaines de kilomètres plus au nord, à Oakland, le record mémorable de leurs protégés. Les Golden State Warriors de Stephen Curry ont effacé des livres d’histoire les Chicago Bulls de Michael Jordan en battant le nombre de victoires obtenues en saison régulière. Avec leur succès acquis aux dépens des Memphis Grizzlies, jeudi 14 avril, les champions en titre terminent la saison avec un bilan de 73 victoires pour 9 défaites, contre les 72 victoires établies par les Bulls il y a vingt ans, en 1996.

Si les records sont faits pour être battus, pour reprendre un dicton sportif dont la banalité n’a d’égale que l’implacable logique, il en est qui paraissent plus insurmontables que d’autres. Celui de ne perdre que 9 matchs sur 82 en saison régulière, dans un championnat aussi éprouvant et compétitif que la NBA, en fai(sai)t partie. Celui de détrôner la mythique équipe des Bulls, menée par l’un des plus grands sportifs de tous les temps, ajoute de l’épaisseur à cette épopée historique.

Chicago Bulls 72-10 Mixtape from the 1995-1996 Season!!!
Durée : 05:32

« La meilleure équipe de la planète »

« C’est une opportunité qui ne se présente qu’une fois dans votre carrière », reconnaissait avant la rencontre la nouvelle coqueluche du sport américain, le meneur de jeu des Warriors Stephen Curry. La quête du record s’est jouée sur une foule de détails qui ont tous tourné en faveur de la franchise de la baie de San Francisco. Le petit match qui les fait entrer dans l’histoire aurait pu leur échapper sur un ballon perdu, un tir raté… ils sont passés par plusieurs prolongations, face au Jazz, au Thunder, aux Celtics, et se sont sortis de situations qui semblaient inextricables.

Car cette équipe qui a révolutionné le jeu, repoussé les limites du tir à trois points, s’est aussi forgée grâce à un mental d’acier. « Je ne sais pas ce que disent les chiffres ou toutes ces conneries d’analyse, mais ils sont l’une des meilleures équipes défensives de la ligue, expliquait à propos de ses adversaires l’emblématique entraîneur des San Antonio Spurs, Greg Popovich. Et si vous combinez cela avec ce qu’ils font offensivement, ça donne ce qu’ils sont aujourd’hui : la meilleure équipe de la planète. »

Un fan des Golden State Warriors. | Marcio Jose Sanchez / AP

Après leur titre acquis la saison passée face aux Cleveland Cavaliers, les Warriors étaient pourtant attendus au tournant par de nombreux observateurs : leur style de jeu très exigeant, dépendant de la réussite (affolante) aux tirs de leurs deux gâchettes, Stephen Curry et Klay Thompson, ne passerait pas l’épreuve de la confirmation. Ou, du moins, personne ne s’attendait à les voir bouleverser ainsi le cours de l’histoire.

Mais les Warriors ont vite fait comprendre que cette saison ne serait pas comme les autres en débutant par une impressionnante série de 24 victoires consécutives. Le tout sans leur coach Steve Kerr, absent plusieurs mois après une opération du dos, mais brillamment remplacé par son adjoint Luke Walton. « Même au début de l’année, quand nous avons commencé à 24-0, on se disait qu’on pouvait peut-être le faire, mais ça sonnait presque faux », expliquait Stephen Curry. Mais très vite également, ce dernier a montré qu’il évoluait sur une autre planète, enchaînant les performances toutes plus impressionnantes les unes que les autres, dégainant des tirs toujours plus lointains, et dans des positions toujours plus improbables. Avec 402 tirs à trois points réussis sur une saison, il a pulvérisé le record qu’il avait lui-même établi la saison passée.

« Je suis actuellement témoin d’un moment d’histoire »

Comptabilisant 29,9 points de moyenne sur la saison (à 50,2 % de réussite aux tirs, à 45,2 % de réussite à longue distance), 6,7 passes décisives et 5,5 rebonds de moyenne, le joueur de 28 ans file tout droit vers un deuxième titre de suite de meilleur joueur de la Ligue (MVP). Il est ce joueur au-dessus des autres, épaulé par ses deux lieutenants all star Klay Thompson et Draymond Green, et entouré d’un collectif (Barnes, Iguodala, Bogut, Livingston, Speights…) sublimé par le coaching de Steve Kerr. « Je peux dire que je suis actuellement témoin d’un moment d’histoire », concédait, admiratif, l’autre « Roi » de la NBA, LeBron James.

Steph Curry Drains the Game Winner vs Oklahoma City
Durée : 00:34

Mais dans le milieu égotique de la NBA, où les joueurs défendent jalousement leur légende et où les conflits intergénérationnels font partie du folklore, les anciens Bulls n’ont cessé de minimiser les performances des Warriors. Le volubile Scottie Pippen décochant de nombreuses banderilles, assurant que son équipe aurait balayé la franchise californienne en playoffs. Son ancien coéquipier, le Croate Toni Kukoc, expliquant de son côté que ses Bulls avaient « plus d’armes et de puissance des deux côtés du terrain ». « Nous avons mis beaucoup de raclées. Combien de matchs ont-ils gagné sur le fil ou en prolongation ? », s’interrogeait pour sa part l’ancien propriétaire des Bulls, Jerry Reinsdorf. Michael Jordan a toutefois été l’un des premiers à féliciter les Warriors pour leur nouveau record : « Je tiens à féliciter les Warriors pour leur magnifique saison. Le basketball est en perpétuelle évolution […] j’ai pris beaucoup de plaisir à voir jouer Golden State cette saison et j’ai hâte de voir ce qu’ils feront en playoffs. »

Les Warriors savent et répètent que ce record aura une saveur amère s’il n’est pas suivi du titre ultime. La dure réalité du sport de haut niveau : célébrer ce moment, rapidement, puis se replonger dans l’entraînement dans la perspective des playoffs. « Ç’aurait été vraiment bien d’assurer les matchs que nous étions censés assurer et d’avoir déjà le record », regrettait d’ailleurs Draymond Gren avant le match face aux Grizzlies. « Personnellement, je me fous de ce record (…) mon but est qu’on aborde les playoffs en étant frais, c’est pour cela que je limite la présence des joueurs sur le parquet à 33-35 minutes », a concédé Kerr, dont les joueurs ont toutefois du puiser dans leurs réserves, jusqu’à l’ultime journée, pour aller décrocher ce bout d’histoire.

Les Dubs devront conquérir un deuxième titre d’affilée pour établir une véritable dynastie. Leurs principaux adversaires se nomment les Cleveland Cavaliers, Oklahoma Thunder et les San Antonio Spurs. Des équipes qui n’ont pas trouvé de réponses pour contrecarrer la domination des Warriors. Michael Jordan avait gagné six titres avec les Bulls. Kobe Bryant cinq avec les Lakers. Stephen Curry sait le chemin qu’il lui reste à parcourir pour faire taire les derniers sceptiques. S’il en restait.

Best of Phantom: Golden State Warriors Set Regular Season Wins Record
Durée : 03:57