Discussion menée par un groupe LGBT lors de la Nuit Debout du samedi 9 Avril 2016, Place de la République à Paris. | GUILLAUME BINET / MYOP POUR LE MONDE

C’est un drôle de hasard. En janvier 2011, Sam, Australien de 27 ans, prenait l’avion à Melbourne pour Madrid. Le 15 mai, l’activiste écologiste tombait alors sur un mouvement encore jeune, les Indignés, place de la Puerta Del Sol. Cinq ans plus tard, celui qui est arrivé en France l’an dernier est devenu un membre actif d’un mouvement similaire, Nuit debout, place de la République. « C’est étonnant de voir ça dans deux pays différents, ça me permet de les comparer, lance-t-il. Le contexte n’est pas le même. En Espagne, le mouvement était lié à la crise économique et au chômage. Ici, on part de la lutte contre une loi pour l’élargir à tous les maux de la société française : l’immigration, l’éducation, le chômage, l’écologie. Dans les deux cas, on ouvre un espace de dialogue pour créer un nouveau modèle politique. »

Autour d’une assemblée générale citoyenne surchauffée, des centaines de personnes écoutent, debout, les différents interlocuteurs dans le calme. Sur un rondin de bois, Hector, 40 ans, venu de Barcelone en bus vendredi, surplombe la foule. L’écrivain espagnol observe l’événement avec curiosité et allégresse. Selon lui, le mouvement Nuit debout s’inscrit totalement dans la dynamique des Indignés, dont il fait partie. « Ici, comme en Espagne, les Français se réunissent pour dénoncer le néolibéralisme et l’individualisme qui gouvernent nos sociétés modernes. Là aussi, il s’agit d’un mouvement inclusif où tout le monde est le bienvenu, où c’est l’intelligence collective qui prédomine », estime le Catalan, auteur d’une trilogie sur l’immigration.

Premier journaliste espagnol à couvrir l’événement, le 31 mars, José Bautista voit, lui aussi, de nombreuses similitudes entre les Indignés espagnols et le Nuit debout français : « Dans les deux cas, les réseaux sociaux ont joué un rôle central, des radios et télés indépendantes se sont créées et un langage durant les assemblées a vu le jour », analyse le correspondant en France pour le journal espagnol La Marea. Plus que des actions communes, on assiste, selon lui, à une déception envers le gouvernement socialiste en place. « A l’époque, le premier ministre José Luis Zapatero avait fait de la lutte contre le déficit public sa priorité et avait réduit les dépenses sociales, dans un pays où le taux de chômage explosait, ça ne pouvait pas marcher », rappelle-t-il.

Alexis, 28 ans, a la double nationalité et vit en France depuis quatre ans. Comme beaucoup d’hispaniques, il a rejoint l’Hexagone pour trouver du travail. Il tient à nuancer ces points communs. « Ce qu’on vit ici entre forcément en résonance avec ce qu’on a vécu en Espagne mais chaque expérience est différente. En Espagne le chômage était bien plus élevé, les Indignés campaient sur la place de la Puerta del Sol et étaient mieux organisés. Par contre, ici, vous avez un tissu associatif et syndical très fort qui permet de mettre plus de pression sur le pouvoir », estime-t-il.

Un Podemos à la française ?

Lors de la Nuit Debout du Samedi 9 Avril 2016, Place de la République à Paris. | GUILLAUME BINET / MYOP POUR LE MONDE

Place de la République, les propositions sont légion, mais celles concernant l’issue du mouvement sont plus rares. Dimanche, Miguel Urbán Crespo, député européen du parti Podemos, est venu, au micro, afficher son soutien au mouvement, sans chercher à l’influencer. Si les Indignés espagnols avaient donné naissance à des collectifs influents et au parti Podemos, ici, l’incertitude plane. « Aujourd’hui, on ne sait pas trop ce que ça va donner. Certains aimeraient un Podemos à la française, d’autres que les partis disparaissent », explique Alexis. « Il faut que les Français se parlent et s’organisent pour casser les partis politiques. Le mouvement ne pourra aboutir que si une déreprésentation de la politique est mise en place », assure Hector.

« Au début, j’étais optimiste mais j’ai l’impression aujourd’hui qu’aucune proposition forte n’émerge, qu’ils constatent sans chercher de solutions concrètes », avance José Bautista, plutôt dépité par l’aspect répétitif et stagnant du mouvement. Il ajoute : « C’est peut-être parce qu’en Espagne, on a une tradition anarchiste qui fait que les débats vont plus vite. Chez nous, les assemblées, l’autogestion et le langage liés à ces mouvements sont connus de tous. Pour beaucoup de Français, c’est une découverte. »

Pour Joris, juriste français et coordinateur de Nuit debout, la lenteur du mouvement est légitime. « En Espagne, les choses sont allées vite car la dernière fois que le peuple a renversé un régime, c’était en 1975. Nous, c’était en 1792. Les institutions françaises sont bien plus figées », juge-t-il.

Quels que soient les débouchés, ces Espagnols l’assurent : Nuit debout changera profondément l’implication politique des citoyens en France. « Le mouvement des Indignés en Espagne a certes débouché sur la création de collectifs et de Podemos, mais la principale victoire fut la repolitisation des citoyens. Les Espagnols se sont réapproprié cette grammaire politique pour pouvoir la faire évoluer », explique Pablo, traducteur en France depuis près de cinq ans.

« Même si Nuit debout s’arrête demain, quelque chose aura changé. Quoiqu’il arrive maintenant, ça restera dans la tête des gens. Il y aura toujours ce souvenir et donc cet espoir de changement », développe José Bautista, qui croit en ce mouvement à condition qu’il s’étende. « Son succès résidera dans sa diffusion en banlieue comme on l’a vu dans les grandes villes espagnoles », ajoute le journaliste.

« Fil rouge révolutionnaire »

Samedi 9 Avril 2016, Place de la République à Paris. | GUILLAUME BINET / MYOP POUR LE MONDE

Depuis la crise économique mondiale en 2008, « un fil rouge révolutionnaire cohérent apparaît », selon Pablo : la place Tarhir en Egypte, les Indignés en Espagne et en Grèce, Occupy Wall Street aux Etats-Unis et en Australie, et aujourd’hui, Nuit debout en France. Un processus historique qui pourrait émerger prochainement dans d’autres pays.

C’est l’objectif principal de la commission internationale de Nuit debout qui se tient tous les soirs à 19 heures. La quinzaine de membres permanents vient de lancer un appel international pour le 15 mai, cinq ans jour pour jour après la première mobilisation espagnole. « Grâce aux Indignés espagnols présents ici, on possède un très gros réseau sur chaque continent », explique Marion, coordinatrice de la commission. Le but, faire venir le maximum d’étrangers place de la République et développer ce mouvement dans les grandes villes du monde entier.

Au sein de ce mouvement, quelques Italiens ont bon espoir de voir le mouvement se propager. « S’il existe une mondialisation économique, il peut y avoir une mondialisation sociale et politique, c’est normal. Nos sociétés sont synchronisées et doivent l’être dans tous les domaines », affirme Giovanni, 40 ans. A ses côtés, Antonio, 64 ans répète à l’envi que « quand la prairie est sèche, il suffit d’une étincelle pour y mettre le feu ». Tenter d’internationaliser Nuit debout, c’est déjà une épreuve du feu, pour le mouvement.