Un sexeur examine des poussins, le 16 juillet 2010 à Willgotheim. | FREDERICK FLORIN / AFP

Jetés dans une broyeuse mécanique, gazés ou laissés pour mort dans des sacs-poubelles, dans les couvoirs industriels, les poussins mâles de race « pondeuse » connaissent un destin sordide. Parce que contrairement aux femelles, ils ne peuvent pas pondre d’œufs et que leur croissance est trop lente pour la viande, les mâles sont systématiquement tués. Sur 90 millions d’œufs qui voient le jour dans les couvoirs chaque année, 50 millions sont détruits. Alors que des alternatives existent, cette pratique continue. Pourquoi ?

C’est une vidéo de l’association de défense animale L214 qui a révélé cette pratique en novembre 2014. Tournée clandestinement par un employé d’un couvoir de Bretagne, on y voit des poussins agonisants dans une benne à ordures ou à même le sol. Après l’avoir postée sur son site, L214 avait lancé une pétition et écrit au ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll. « Ces images ont vraiment choqué, la pétition a été signée par 85 000 personnes, rappelle Brigitte Gothière, porte-parole de l’association. Et, surtout, ce sont trente-six parlementaires de tout bord politique qui se sont saisis de ce problème. »

En réponse, le ministère de l’agriculture avait annoncé une remise à plat des normes du bien-être animal et une évolution dans la « mise à mort des animaux en dehors des abattoirs ». Mais face à l’inaction de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), en charge de ces mesures, L214 écrit à nouveau à Stéphane Le Foll en avril 2015, en lui proposant de détailler les avancées de l’Allemagne sur cette question.

Tuer le poussin dans l’œuf

Broyage des poussins dans un couvoir en France - 2014
Durée : 03:12

L’Allemagne a souvent été montrée en exemple dans ce débat. Le ministre allemand de l’agriculture, Christian Schmidt, a en effet annoncé la fin du broyage des poussins mâles dans les couvoirs outre-Rhin pour 2017. Car une méthode mise au point par l’université de Leipzig permettrait de déterminer le sexe des poussins dès le troisième jour de leur développement. Cette technique, la spectrométrie, n’épargne pas les mâles, mais permet de trier les embryons avant leur éclosion.

Mais aussitôt dit, aussitôt retiré. Arguant un intérêt économique, Christian Schmidt a finalement déclaré, jeudi 24 mars, l’abandon de l’interdiction du broyage : « Si on interdit le broyage des poussins par la loi, les éleveurs iront s’installer à l’étranger. »

En France, c’est l’arrêté du 12 décembre 1997, qui autorise « l’utilisation d’un dispositif mécanique entraînant une mort rapide » et légalise donc le broyage. Si la recherche avance, arriver à des résultats concluants « est très long », estime Philippe Juven, producteur d’œuf drômois, et président de l’interprofession de l’œuf. « Il était nécessaire de réfléchir à d’autres façons de faire, faire naître un animal pour le tuer n’est pas satisfaisant » et n’est pas rentable, assure-t-il. Pour contrer le broyage, une méthode d’élevage de poules à souche mixte a un temps été étudiée. « Ce sont des poules qui peuvent produire des œufs et aussi être utilisées pour la chair », explique Philippe Juven. Mais, moins productives, elles n’ont pas été jugées économiquement viables pour l’élevage industriel.

Intégrer la technologie dans les couvoirs

Une entreprise française initialement spécialisée dans la sous-traitance électronique dans l’aviation et l’armement s’est alors lancée également dans la spectrométrie. Depuis trois ans, Tronico travaille sur cette technologie, aidée par une dotation de 4,3 millions d’euros du Programme d’investissements d’avenir (PIA).

« Contrairement au modèle allemand, nous développons une technique non invasive qui permet de trouver des informations sur le sexe du poussin sur la coquille, c’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin de faire de trou dans l’œuf », explique Patrick Collet, directeur de Tronico. L’entreprise doit travailler encore un an pour affiner sa méthode du point de vue scientifique et technique. « Il faut savoir que le parc des couvoirs en France et à l’international est très hétérogène, il faut donc que l’on fasse une machine qui puisse s’adapter », détaille M. Collet.

« Nous développons une technique non invasive qui permet de trouver des informations sur le sexe du poussin sur la coquille, c’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin de faire de trou dans l’œuf »

Les couvoirs et les abattoirs ne seront donc pas équipés demain de « scanners » de coquille. Et cela ne veut pas non plus dire que le broyage des poussins deviendra illégal. Mais, pour Anne Richard, directrice de l’Institut technique d’aviculture (ITAVI), un organisme de recherche appliquée dans les filières avicoles, cunicoles et piscicoles, « il ne fait aucun doute que tous les opérateurs du secteur s’équiperont de cette technologie si elle fonctionne ». A ses yeux, si le broyage a persisté, c’est que les milieux agricoles et scientifiques étaient très cloisonnés : « Il y a quelques années, ces méthodes n’existaient pas et ne pénétraient pas le monde agricole. »

Même si ces évolutions sont positives, elles restent largement insuffisantes pour L214, qui rappelle que d’autres animaux sont concernés par les mauvais traitements. « Dans l’industrie du foie gras, seuls les canetons mâles sont gardés, au contraire des femelles qui sont broyées ; dans des abattoirs, des porcs sont abattus à coups de barre de fer, et des lapereaux laissés à l’agonie dans des poubelles », déplore Brigitte Gothière, qui regrette les « mesurettes » du gouvernement français.