Patrick et Isabelle Balkany à Paris, le 3 juillet 2015. | Charles Platiau/Reuters

Les « Panama papers » ont également permis au Monde de croiser la route du désormais célèbre riad de Patrick et Isabelle Balkany à Marrakech : la villa Dar Guycy. C’est Mossack Fonseca qui a enregistré au Panama en juillet 2007 la société Hayridge Investments Group Corp., propriétaire indirecte du riad, à la demande de la fiduciaire suisse Gestrust, qui agissait elle-même pour le compte de Jean-Pierre Aubry, le bras droit du couple de Levallois-Perret.

Les données internes de Mossack Fonseca montrent que, loin d’agir en connaissance de cause pour les Balkany, la firme panaméenne s’est plutôt retrouvée victime de ses propres négligences et de l’opacité structurelle du paradis fiscal qu’est le Panama.

Hayridge a en effet toujours eu des actions au porteur, un mécanisme qui permet au véritable actionnaire de ne pas révéler son identité. Le Panama est l’un des derniers pays du monde à avoir mis fin à ce système opaque d’actionnariat, fin 2015. Quant à l’obligation pour les sociétés de domiciliation de connaître la véritable identité du bénéficiaire de la société (KYC, pour « Know your client »), elle n’est pleinement entrée en vigueur qu’en février 2016.

Panique quand la justice rattrape les Balkany

Résultat : Mossack Fonseca n’a appris le nom de Jean-Pierre Aubry et des époux Balkany que lorsqu’elle a reçu une demande d’information du fisc panaméen en 2015. Ce n’est donc que deux ans après l’ouverture de l’information judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale par le parquet de Paris, en décembre 2013, que la panique a saisi la firme panaméenne : « En raison des informations que nous avons trouvées et du risque que représente la société, je suggère que nous renoncions [à son administration] », écrit ainsi le 19 octobre 2015 une employée du département « compliance » (vérification de conformité) après avoir pris conscience de la situation par quelques recherches Google. Une semaine plus tard, son conseil était mis en œuvre.

L’empressement de la fiduciaire suisse Gestrust à couper tous ses liens avec Hayridge aurait pourtant pu mettre la puce à l’oreille des employés de Mossack Fonseca beaucoup plus tôt. Dès le 30 janvier 2014, un mois après la judiciarisation de l’affaire Balkany, Gestrust demande en urgence à Mossack Fonseca de lui fournir des prête-noms panaméens pour remplacer ses employés qui apparaissaient comme administrateurs de la société. « Nous ne voulons plus avoir aucun lien avec cette société dans le futur », explique Gestrust, qui a toujours nié avoir eu connaissance que les Balkany étaient les véritables propriétaires du riad.

La fiduciaire a aussi tenté de faire disparaître le nom de Diana Brush, l’un de ses employées, du capital de la SCI Dar Gyucy, propriétaire du riad de Marrakech. Mme Brush était censée transférer ses 1 % d’actions dans la SCI vers une fondation panaméenne proposée comme prête-nom par Mossack Fonseca. Un projet jamais concrétisé, Jean-Pierre Aubry n’ayant pas fourni à Gestrust les documents nécessaires au transfert.

Pendant près de deux ans, entre janvier 2014 et octobre 2015, la correspondance entre Gestrust et Mossack Fonseca atteste que la fiduciaire suisse a tenté de se débarrasser du boulet représenté par Hayridge en renvoyant vers le cabinet d’Arnaud Claude, l’associé historique de Nicolas Sarkozy. Si Me Claude n’a jamais répondu à ces courriers, un échange interne du 19 octobre 2015 entre Gestrust et Mossack Fonseca confirme qu’il a, « par le passé », « téléphoné » à la fiduciaire suisse pour lui « donner des instructions » au sujet de Hayridge.

De quoi corroborer les soupçons de la justice sur le rôle actif qu’il aurait joué dans l’évasion fiscale du couple Balkany. Arnaud Claude a fait savoir au Monde, par l’intermédiaire de son avocat, Cyril Gosset, qu’« il ne répondra pas sur une pièce qui n’a pas encore été produite dans l’instruction », rejetant la responsabilité sur la fiduciaire Gestrust. Les avocats des époux Balkany et de Jean-Pierre Aubry ont également refusé de s’exprimer.