Une tente de fortune pour abriter les débats sur les relations entre la France et ses anciennes colonies, place de la République, à Paris. | Arnaud Aubry

Coincés entre la commission « anti-spéciste », selon laquelle un ver de terre a la même valeur qu’un banquier de Wall Street, et le bureau des consultations juridiques, quelques cartons empilés font office de table. Les moyens sont rudimentaires et pourtant, malgré la pluie et l’absence de sono, une quarantaine de personnes sont rassemblées ce jeudi de la mi-avril, à la commission « Françafrique », l’une des nombreuses déclinaisons du mouvement Nuit debout.

Ils sont là, des opposants aux régimes tchadien ou congolais, des exilés camerounais, des membres de l’association Survie, à animer des discussions place de la République, à Paris, sur le poids de la France en Afrique. Une thématique incongrue au milieu des commissions « éducation populaire » et « grève générale » ? Peut-être, mais pas moins « légitime, dans un mouvement de convergence des luttes », estime Sarah, une militante de 29 ans.

Au menu de la soirée, les élections tchadiennes, qui se sont déroulées sous haute tension le 10 avril. Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis vingt ans, en est le grand favori. « Je trouve inadmissible que la France, pays des droits de l’homme et de la démocratie, soutienne des dictateurs qui s’accaparent les pouvoirs et les richesses de ces pays », attaque d’emblée Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, un activiste tchadien.

Lectures postcoloniales

En marge des assemblées générales place de la République, des chercheurs et journalistes spécialistes de l’Afrique ont décidé de « Lire debout » des textes de penseurs de la négritude ou de l’anticolonialisme comme Aimé Césaire, Frantz Fanon, Edouard Glissant ou Léonora Miano, pour « nourrir l’imaginaire des luttes ».

A l’origine de l’initiative, il y a le constat d’une absence notable de personnes issues de la diversité dans le mouvement Nuit debout. Dix jours de lectures scandées ont eu un certain succès, mais l’audience est en grande majorité blanche. Le slogan de Lire debout, « Notre présent est postcolonial », ne fait pas toujours l’unanimité. « C’est une invitation à la réflexion, explique Célia, critique littéraire de 35 ans, dont les parents sont d’origine algérienne. Souvent, les gens ne font pas le lien entre la colonisation et notre époque présente. Pourtant les ramifications sont nombreuses. »

Vendredi soir 15 avril, Lire debout s’est emparé du philosophe italien Lanza del Vasto et de son livre Le Pèlerinage aux sources. « Ce n’est pas l’ennemi que vous avez à combattre, mais l’erreur de l’ennemi ! L’erreur que commet votre prochain lorsqu’il lui arrive de se croire votre ennemi. Faites-vous l’allié de votre ennemi contre son erreur », écrivait en 1943 cet apôtre de la non-violence.

Des recommandations arrivées trop tard pour les casseurs de la veille, qui ont détruit des Autolib et les vitrines d’un Franprix et d’une agence Jaguar, avant d’affronter les forces de l’ordre aux abords du canal Saint-Martin.

Quand il demande à l’assemblée si quelqu’un sait où se trouve le Tchad, ils sont peu nombreux à répondre par l’affirmative. « Il faut éduquer la jeunesse libre et militante [de France], pour qu’elle puisse ensuite demander des comptes à ses dirigeants », dit Maikala Nguebla, blogueur tchadien, opposant au régime et réfugié en France depuis 2013.

Si la place de la République commence à s’animer de musique et de danse, la commission « Françafrique » demeure studieuse, les spectateurs bien serrés pour échapper à la pluie. « L’élite africaine s’entend très bien avec l’élite française. Il n’y a pas de raison que le peuple français ne s’entende pas avec le peuple africain », s’exclame Serge, comptable camerounais de 44 ans qui n’avait jamais milité mais se découvre une âme de combattant. Il ne précise pas ce qu’il entend exactement par « peuple africain ».

« Je n’y connais rien à la Françafrique, mais j’étais impressionnée d’apprendre que le Tchad n’est pas maître de sa monnaie ! », témoigne Inès, une enseignante de 28 ans. Teddy, un fonctionnaire de 34 ans, ne connaissait pas non plus les tenants et aboutissants du franc CFA. Il déplore que ces sujets « ne soient pas souvent médiatisés » et se félicite de participer ce soir à des travaux « un peu subversifs ».

La nuit est tombée et la pluie s’est arrêtée. On s’échange des numéros de téléphone, on évoque la mémoire de Cheikh Anta Diop. Julien, qui « travaille dans l’humanitaire », a vécu quatre ans au Tchad. « L’état-major de l’opération Barkhane” [menée au Sahel par l’armée française contre les groupes armés djihadistes] est à N’Djamena, des milliers de soldats français y sont stationnés, des Rafale décollent de son aéroport tous les jours », dit-il, avant de proposer « qu’on pense à organiser » une manifestation pour montrer « notre désaccord vis-à-vis de la politique de la France en Afrique ».