Dans le roman 1984 de Georges Orwell, chaque citoyen est surveillé par une télévision-caméra, le télécran, installé dans tous les appartements. Même le héros, Winston, qui croit y échapper, est suivi à son insu par Big Brother. Le cloud computing est-il la version moderne du télécran ? C’est le fond du débat qui s’installe aux Etats-Unis. Quelques semaines après l’affaire de l’iPhone des terroristes de San Bernardino, qu’Apple refusait de débloquer, Microsoft passe à son tour à l’attaque. Le groupe vient de déposer plainte contre le département de la justice américain, au sujet de ses pratiques de surveillance.

Sur les dix-huit derniers mois, la justice a formulé plus de 5600 demandes de surveillance auprès de Microsoft

Il reproche non pas à la justice d’espionner les données de suspects hébergées dans les ordinateurs de Microsoft, mais de ne pas leur dire. Et de produire des chiffres stupéfiants. Sur les derniers 18 mois, la justice lui a formulé plus de 5600 demandes de surveillance, dont la moitié avec obligation de tenir ces « écoutes » secrètes. De plus, dans la majorité des cas, ce secret n’est pas limité dans le temps. La justice peut indéfiniment fouiller dans les données des clients de Microsoft sans que ces derniers ne l’apprennent jamais.

On comprend bien le point de vue de la police dans cette affaire. Une surveillance n’est efficace que si elle reste secrète. Il est donc hors de question pour elle que les Microsoft, Apple, Amazon ou Google vendent la mèche en prévenant les suspects dans des affaires criminelles. Après tout, c’est la règle qui prévaut dans les écoutes téléphoniques où pour les surveillances physiques.

Le numérique change l’échelle

Le problème est que le numérique change l’échelle. Notamment avec le développement massif du cloud computing, qui permet de stocker les informations dans des centres d’ordinateurs gérés par des sociétés informatiques comme Microsoft, et d’y avoir ainsi accès de n’importe où par le réseau internet. Un mouvement de virtualisation du stockage de l’information qui est en train de révolutionner l’informatique mondiale et qui constitue le principal pôle de croissance des géants de la hightech.

Bien sûr, le nombre de terroristes et de trafiquants de drogue est infime parmi les utilisateurs, mais l’image que renvoie cet usage de l’accès aux données par la justice est désastreuse. D’autant que cette mine d’informations passionne tellement les autorités qu’elles multiplient les requêtes, et les demandes de secret. Les contraintes légales sont trop faibles, plaide Microsoft, qui demande un changement des règles.

On savait que le numérique était en train de pulvériser la notion d’intimité, que ce soit pour les particuliers, les entreprises ou les Etats, mais dans cette affaire, c’est la question de la confiance qui est en jeu. Celle que je peux placer dans l’entreprise à qui je confie mes données. Des écoutes de la NSA à celles du FBI, des « Panama » Papers à l’affaire Snowden, bienvenue dans le monde de la surveillance généralisée. A chacun son Big Brother.