A Dimbokro, en Côte d'Ivoire, dans un champ de jatropha, plante dont l'huile peut être utilisée comme biocarburant. | KAMBOU SIA/AFP

Tribune de Monique Barbut, directrice de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification. Selon la diplomate onusienne, la gestion durable de l’eau et des terres offre une option rentable pour produire de l’énergie et réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’Afrique en possède de multiples exemples.

Il existe aujourd’hui une énorme soif de développement. Pour l’assouvir, nous avons besoin d’énergie. Sans accès à l’énergie, des millions de personnes dans les pays en voie de développement sont irrémédiablement condamnées à vivre dans une extrême pauvreté et sans réelles opportunités. En suivant la tendance actuelle, 1,2 milliard de personnes ne disposeront toujours pas d’électricité d’ici à 2030 ; 85 % vivront dans des zones rurales. Procurer une énergie fiable et durable à tous ceux qui en ont besoin, en dépit des pressions liées au changement climatique, constitue l’un des plus grands défis du XXIe siècle.

Dans La Ferme des animaux, George Orwell écrit « que tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres ». Il en va de même des sources d’énergies. Elles sont en principe égales. Elles peuvent toutes être utilisées pour cuire nos aliments ou nous fournir de la lumière. Pourtant, certaines sont plus égales que d’autres. Pour être en mesure d’atteindre nos objectifs en matière de lutte contre le réchauffement, nous devons réduire drastiquement notre consommation d’énergies fossiles.

Des énergies renouvelables pas toujours durables

Les énergies renouvelables offrent la meilleure option pour accroître l’offre énergétique dans un contexte respectueux des défis climatiques. Personne n’est en mesure de s’opposer à une telle logique. Que faut-il sacrifier pour assurer l’émergence de cet eldorado de l’énergie renouvelable ? Certainement pas des terres productives indispensables à l’agriculture. La préservation de ces terres agricoles est tout aussi importante que l’accès à une source fiable d’énergie. A fortiori avec une population mondiale qui devrait atteindre les 9,7 milliards d’humains d’ici 2050.

Or les sources d’énergies renouvelables telles que les biocarburants et l’hydroélectricité ne sont pas nécessairement garantes d’une durabilité environnementale. Leur exploitation peut avoir des retombées négatives : réduire la superficie des terres fertiles, la disponibilité en eau, la richesse de la biodiversité. Par exemple, un objectif qui fixerait à 20 % le quota des biocarburants dans la production totale d’énergie d’ici à 2050 obligerait à doubler leur production annuelle. Toutefois, l’emprunte hydrique moyenne des biocarburants est 70 % supérieur à celle du pétrole.

L’huile de palme est utilisée de façon croissante comme biocarburant. Au Kalangala (lac Victoria, Ouganda), 3 600 hectares de terres ont été prélevés sur des forêts naturelles pour y développer des plantations d’huile de palme. Cette déforestation a dépossédé de nombreux habitants des îles qui dépendaient de la forêt pour leurs moyens de subsistance. Les communautés se plaignent maintenant d’un manque de sources alternatives de revenus et d’une augmentation de l’insécurité alimentaire.

L’huile de jatropha au Mali

La nourriture, l’eau et l’énergie constituent les trois piliers fondamentaux de notre survie, des piliers qui se soutiennent mutuellement ou s’écroulent solidairement. L’énergie a besoin d’eau et de terres. Le ravitaillement en eau et l’irrigation ont besoin d’énergie et de terre ; et les activités basées sur les terres telles que l’agriculture et la sylviculture dépendent à leur tour de l’eau et de l’énergie. Dans un souci de durabilité, en particulier pour être en mesure d’atteindre les populations rurales pauvres, nous devons augmenter concomitamment l’offre et l’accès à ces trois ressources.

Nous disposons d’exemples fantastiques de succès. Dans la commune de Garalo, au Mali, des petits exploitants fournissent de l’huile de jatropha à des centrales hydroélectriques hybrides. Six cents hectares impliquant 326 familles rurales sont déjà exploités. Le projet en question assure ainsi un revenu stable aux fermiers ainsi qu’une source d’énergie fiable aux communautés, ce qui a pour effet de stimuler l’économie locale.

La gestion durable de l’eau et des terres peut offrir une option rentable et efficace d’un point de vue énergétique. Par exemple, les bassins-versants régulent et pourvoient en eau à des coûts financiers et énergétiques inférieurs à ceux des grandes infrastructures.

Douze millions d’hectares de terres dégradées

Nous ne serons en mesure d’atteindre une véritable sécurité énergétique que si les autres ressources naturelles, particulièrement l’eau et les terres sont valorisées. L’objectif de développement durable qui vise à donner un coup d’arrêt à la dégradation des terres doit devenir la nouvelle norme. Cela signifie que la réhabilitation des terres dégradées comme la vulgarisation des pratiques de gestion durable des sols doivent devenir des composantes essentielles de toute politique réaliste sur les énergies renouvelables. La réhabilitation de 12 millions d’hectares de terres dégradées par an nous aidera également à séquestrer du carbone et pourrait aider à clore l’écart d’émissions de gaz à effet de serre – c’est-à-dire la différence qui existe entre ce qui est nécessaire pour combattre le changement climatique et les politiques nationales actuelles d’ici à 2030. Les négociateurs réunis à Paris pour la 21e Conférence des Nations unies sur le climat (COP21) devraient réfléchir sur le fait qu’il s’agit là d’une voie à même d’accroître l’accès à l’énergie.

Monique Barbut est directrice exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification.