Les secours interviennent après une attaque contre l'hôpital Al-Dabit le 3 mai 2016 à Alep. | GEORGE OURFALIAN / AFP

Des deux côtés de la ligne de front, la peur ne quitte pas les civils d’Alep. Mardi matin, dans cette ville coupée en deux depuis 2012, les habitants des quartiers de l’Ouest, sous contrôle de l’armée, étaient soumis à une pluie d’obus de mortiers tirés par les rebelles. Un hôpital privé, la maternité Al-Dabit, a notamment été touché : l’agence de presse officielle SANA fait état d’au moins trois morts et de dix-sept blessés.

« C’est la sixième structure de santé à être détruite en une semaine à Alep, déplore Pawel Krzysiek, le porte-parole du CICR en Syrie. C’est inacceptable. Un hôpital détruit prive toute une communauté d’opérations qui sont parfois cruciales. »

Le Conseil de sécurité de l’ONU a d’ailleurs adopté mardi à l’unanimité une résolution qui réaffirme que les personnels de santé et les installations médicales doivent impérativement être protégés lors de conflits. Un texte qui fait suite au bombardement d’hôpitaux et de cliniques non seulement en Syrie, mais également au Yémen ou en Afghanistan, et qui rappelle que de telles attaques peuvent constituer des crimes de guerre.

Cette attaque fait suite à des dizaines d’autres frappes menées par les insurgés depuis le début de matinée contre les faubourgs de l’ouest d’Alep. Au total, dix-neuf personnes ont été tuées depuis la nuit de lundi à mardi dans ces quartiers, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, dont trois enfants. Les obus de mortiers ont fait plus de 80 blessés. Les tirs ont aussi touché des positions militaires ; sur Twitter, des factions rebelles de l’est d’Alep ont affirmé avoir détruit des mitrailleuses.

Plus de 260 frappes contre Alep

Le commandement de l’armée syrienne impute cette offensive au Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaida, et aux deux groupes salafistes Ahrar Al-Cham et Jeich Al-Islam. Il affirme que les troupes ripostent aux « terroristes » et leur infligent « de lourdes pertes ». Des raids aériens ont de nouveau touché mardi la partie d’Alep tenue par les rebelles, dans l’Est, faisant au moins deux morts.

Depuis le 22 avril, date à laquelle le régime a relancé d’intenses frappes aériennes, tandis que les rebelles menaient des attaques quotidiennes, plus de 250 civils ont trouvé la mort dans la grande ville du nord de la Syrie, dont une cinquantaine d’enfants.

La majorité des victimes ont été tuées par les bombardements des forces pro-régime en zone rebelle, dans l’est d’Alep. Selon un décompte fait le 30 avril par les « casques blancs », des secouristes qui cherchent sous les décombres pendant des heures et parfois même des jours les victimes de ces raids, les avions de chasse avaient mené en huit jours plus de 260 frappes contre l’est d’Alep. L’un des épisodes les plus sanglants a été le bombardement de l’hôpital Al-Qods, spécialisé en pédiatrie, dans la zone rebelle : 55 personnes ont été tuées, des patients et du personnel médical.

Violence inédite

Quant aux attaques menées par les rebelles contre l’ouest d’Alep ces derniers jours, elles sont d’un niveau de violence inédit depuis des mois. La journée de mardi est l’une des plus sanglantes dans ces quartiers. « L’escalade en cours est très préoccupante, commente Pawel Krzysiek, du CICR. L’impact des attaques de part et d’autre est différent, mais, de chaque côté, les civils souffrent. »

Une accalmie pourrait-elle se profiler ? Staffan de Mistura, l’émissaire de l’ONU sur la Syrie, appelle à rétablir le cessez-le-feu qui a volé en éclats à Alep. Au lendemain de sa rencontre avec le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, à Genève, le diplomate s’est rendu mardi à Moscou. A l’issue de leur entretien, le ministre russe des affaires étrangères, Serguei Lavrov, a indiqué qu’un cessez-le-feu à Alep pourrait être annoncé « peut-être même dans les prochaines heures ».

La France et le Royaume-Uni ont demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU sur la situation à Alep, ont rapporté mardi leurs ambassadeurs. Cette « ville-martyre (…) est le centre de la résistance au [président syrien] Bachar » Al-Assad, a souligné l’ambassadeur français François Delattre, la comparant à Sarajevo pendant la guerre en Bosnie.

Scinder la zone rebelle d’Alep en deux

Selon l’agence de presse américaine Associated Press (AP) citant des « responsables américains », l’une des propositions de Washington pour trouver un accord sur Alep serait de scinder la zone rebelle d’Alep entre, d’une part, des quartiers où les civils et les factions armées de l’opposition couvertes par la trêve se rassembleraient et ne seraient pas visés par l’offensive du régime et, d’autre part, des secteurs où le Front Al-Nosra est présent, et qui ne seraient pas concernés par l’accalmie.

Une manière pour Washington d’affirmer travailler à la fin des attaques aveugles contre les civils, tout en satisfaisant Moscou, qui justifie, comme Damas, les bombardements aériens par la lutte contre le Front Al-Nosra dans les quartiers rebelles – le groupe djihadiste y aurait toutefois une présence limitée.

Face aux massacres de civils commis à Alep, l’organisation Human Rights Watch a appelé il y a quelques jours à mettre fin à l’impunité. Elle a demandé qu’une enquête soit ouverte sur l’attaque délibérée qui a frappé l’hôpital Al-Qods. Elle invite aussi à ce que des « sanctions ciblées » soient adoptées contre « les commandants de chaque camp [régime ou rebelles] dont les combattants apparaissent impliqués dans les abus les plus graves, ou qui sont eux-mêmes responsables de graves abus ». « La protection des civils doit être une priorité, rappelait récemment Nadim Houry, directeur adjoint pour le Moyen-Orient de Human Rights Watch. Un tel mécanisme de sanctions participerait à changer la donne. »

Syrie : images des bombardements sur les hôpitaux d’Alep
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