Le président russe, Vladimir Poutine, a accueilli, le 19 avril, au Kremlin, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault. | Kirill Kudryavtsev / AP

De part et d’autre, on veut afficher une bonne entente retrouvée. « La France est pour nous un partenaire-clé en Europe comme dans le monde », assure d’entrée de jeu Vladimir Poutine en accueillant, le 19 avril, au Kremlin, le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault. Les statues de quatre tsars éminemment symboliques dans l’imaginaire russe – Pierre le grand, Catherine la grande, Nicolas II le réformateur, et Alexandre II le libérateur des serfs – veillent sur la rencontre. Le ministre français insiste sur « l’intensification des relations franco-russes » en invitant au nom de François Hollande le président russe à Paris en octobre.

Les responsables politiques français se pressent désormais à Moscou, à commencer par le président lui-même, qui s’y est rendu trois fois en deux ans. Plus d’une demi-douzaine de ministres ont défilé depuis septembre dans la capitale russe, dont Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron, Ségolène Royal… La réalité des relations franco-russes n’en est pas moins contrastée. On insiste d’autant plus sur les coopérations bilatérales, de l’économie à la culture, que sur les gros dossiers comme l’Ukraine et la Syrie la situation est bloquée. « Il ne faut pas avoir peur d’aborder les points de divergence », reconnaît Jean-Marc Ayrault.

Redevenue un acteur majeur sur la scène internationale et notamment au proche orient bien que son PIB ne soit guère supérieur à celui de l’Italie, la Russie reste néanmoins un interlocuteur difficile. « Un partenaire non coopératif », comme aime à le rappeler Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, « c’est-à-dire un partenaire avec lequel cela vaut la peine de discuter pour aplanir des désaccords, mais avec lequel il est impossible de gérer ensemble des problèmes ».

Lutte contre l’Etat islamique

En venant à Moscou le 26 novembre, moins de deux semaines après les attentats de Paris, François Hollande espérait développer une « coordination » plus intense dans la lutte contre l’Etat islamique notamment en Syrie. La Russie venait elle-même d’être frappée par cette même organisation qui avait revendiqué la destruction en vol d’un charter russe le 31 octobre au-dessus du Sinaï.

Cette tentative de rapprochement avec Moscou, principal soutien du dictateur Bachar Al-Assad, représentait un tournant dans la position française qui, jusque-là, avait campé sur « un ni-ni », estimant que les atrocités du régime avaient créé le terreau de l’EI. Le retour aux réalités fut rapide. Malgré les engagements pris, les massives frappes russes en Syrie ont avant tout visé les forces de la rébellion démocratique afin de permettre au régime de récupérer le terrain perdu. Pour symbolique qu’elle soit, la libération de Palmyre de l’EI par les forces syriennes, largement aidées, y compris au sol, par les Russes, reste un fait isolé.

Moscou a néanmoins joué un rôle-clé, rejointe par Washington, dans le processus qui a porté à l’ouverture des négociations de Genève. « Leur échec serait celui de la Russie », souligne-t-on à Paris, où l’on espère que le Kremlin fera pression sur Damas, notamment pour le respect du cessez-le-feu. « Il faut que nous le préservions de toutes nos forces afin que les négociations puissent reprendre avec tout le monde car il n’y a pas de solution militaire à ce conflit », a affirmé Jean-Marc Ayrault dans la conférence de presse finale avec son homologue russe Sergueï Lavrov.

Mais au-delà de ce constat commun, Paris et Moscou restent sur des positions difficilement conciliables, notamment sur le destin de Bachar Al-Assad, dont Paris, comme la plupart des Occidentaux, exige à terme le départ du pouvoir. « Les Syriens doivent décider eux-mêmes de leur avenir », rétorque Sergueï Lavrov, tirant à boulets rouges sur la coalition de l’opposition « qui forte de ses soutiens extérieurs se comporte comme un enfant gâté exigeant de fixer l’agenda y compris pour le départ d’Assad ».

« Une solution pour que la paix revienne en Ukraine »

L’autre grand dossier sensible est celui de l’Ukraine. Parrainés par Paris et Berlin, les accords de Minsk de février 2015 ont plus ou moins mis fin aux combats avec les séparatistes dans l’Est, mais ils restent encore en bonne part lettre morte.

L’annexion de la Crimée par la Russie en représailles à l’installation à Kiev d’un pouvoir réformiste proeuropéen et son soutien aux rebelles ont déclenché au printemps 2014 la plus grave crise entre les Occidentaux et la Russie depuis la fin de la guerre froide et l’instauration de sanctions. « Trouver une solution pour que la paix revienne en Ukraine et que les sanctions soient levées est de l’intérêt de tout le monde », souligne Jean-Marc Ayrault.

La relance du processus dépend de Kiev, qui n’a toujours pas voté la loi de décentralisation ni accordé un statut particulier aux régions séparatistes, mais repose encore plus sur Moscou, qui de fait reste le principal soutien des rebelles. Pour le ministre français, « une solution en Ukraine serait un signal positif pour les autres crises, y compris celle en Syrie ».