La rhubarbe, un déroutant légume ouvert aux quatre vents. | Marie Cecile Thijs pour Le Monde

Certains aliments nous ravissent par leur simple silhouette, d’autres par leur parfum, leur saveur… Mais aussi parfois par leur nom, leur histoire, leur singularité ou leur courte saison. Dans le cas de la rhubarbe, c’est l’ensemble qui a nourri ma passion, au point que j’attends son retour chaque printemps avec une impatience que les années n’ont pas tempérée.

J’aime sa nature libre et sauvage, plante vivace du bout du jardin renaissant quand bon lui semble. J’aime son côté transgressif, légume égaré dans le champ des desserts. J’aime l’étymologie du mot : reubarbarum (« racine barbare »), venue d’Asie avec son cortège épique et initiatique. J’aime que ses feuilles interdites (elles contiennent de l’acide oxalique, poison hautement toxique) couronnent des tiges délicieusement comestibles appelées pétioles. Un drôle de nom évoquant à la fois l’argotique « pétole » (absence de vent) appris à l’école de voile dans la brume bretonne et les textes romantiques, dans lesquels tôt ou tard le sentiment s’étiole…

Grimaces gingivales et délices jubilatoires

Assez de linguistique, passons à la pratique. Car la racine barbare se laisse facilement dompter. Fières et légèrement arquées, ses longues tiges vert pâle ou rose (plus douces mais rares et fréquemment importées) requièrent un épluchage soigné. Une tâche moins fastidieuse qu’il n’y paraît : il suffit de couper une extrémité sans la détacher et de tirer sur les fils externes sur toute la longueur, avant de recommencer de l’autre côté. Les tiges fines et très fraîches peuvent se contenter d’un simple nettoyage – ce qui permet aussi de sauvegarder la couleur rose extérieure. La découpe en tronçons permet ensuite d’éliminer les éventuels fils récalcitrants. Gage de fraîcheur, le suc herbacé qui perle sous le couteau donne un avant-goût des saveurs à venir – on comprend qu’il séduise aussi les créateurs de parfums.

La rhubarbe laisse rarement de marbre, elle provoque répulsion ou délectation, grimaces gingivales ou délices jubilatoires. Quelle vigueur gustative en effet dans un humble bâton ! Un concentré d’acidité, d’astringence, de suavité, bref d’excentricité, que les Anglo-Saxons savent bien mettre en valeur, surtout dans le répertoire salé. Pour en profiter, le bon réflexe consiste à faire mariner les morceaux épluchés quelques heures (ou une nuit), avec un peu de sucre. On réserve le jus exprimé – excellent à boire ou en sirop à diluer –, et la rhubarbe égouttée peut intégrer la recette choisie.

L’amie des fruits rouges, de la viande et du poisson

Dans le registre classique, tarte, crumble, compote et confiture font figure de valeurs sûres. Leur réussite tient au savant dosage du sucre, correcteur d’acidité certes, mais qui doit se contenter d’un second rôle, et à une cuisson pas trop poussée, pour garder de la texture. La confiture de ma grand-mère conservait ainsi ce vert et ce croquant qui disparaissent souvent dans celle du commerce, magma marronnasse confit à l’excès. Pour ma part, je concocte chaque année des fournées de « rhuboise » (mi-rhubarbe, mi-framboise) dont il ne reste plus un pot à la fin de l’été.

Bonne camarade, la rhubarbe s’accommode très bien avec les fruits rouges (fraises et framboises), les abricots et les épices (gingembre, badiane, vanille). Avec audace, elle s’acoquine aussi avec le veau, le porc ou les poissons… A petite dose, on en glisse quelques bâtonnets dans un curry, un tajine, une sauce, qu’elle relèvera de sa touche acidulée. Stimulante pour l’organisme, elle l’est aussi pour la créativité culinaire : osons la sortir de son pré carré sucré !

La recette

Ingrédients (pour 6 personnes) :

  • 1 kg de rhubarbe
  • Gingembre râpé
  • 200 g de sucre
  • 250 g de biscuits (sablés anglais, petits-beurre…)
  • 125 g de beurre salé
  • 250 g de mascarpone
  • 3 cuillères à soupe de sucre glace
  • 2 cuillères à soupe de lait
  • 2 cuillères à soupe d’amaretto
  • Quelques fraises

Préchauffez le four à 180 °C. Epluchez la rhubarbe en gardant les tiges entières. Coupez les plus épaisses dans la longueur pour obtenir de longs bâtonnets de même calibre. Alignez-les dans un grand plat à four, saupoudrez avec du gingembre râpé et 200 g de sucre et faites confire au four 20 min. Laissez refroidir et posez les tiges sur du papier absorbant.

Mixez les biscuits et mélangez-les avec le beurre salé fondu. Répartissez ce mélange dans le fond d’un moule ou plat carré (25 x 25 cm env.), en tassant bien avec le dos d’une cuillère ; placez au frais.

Fouettez dans un bol le mascarpone avec le sucre glace, le lait et l’amaretto. Répartissez cette crème sur le fond de tarte et couvrez avec les tiges de rhubarbe alignées. Décorez avec quelques fraises.