Message affiché sur les sites faisant l'objet d'un blocage administratif. | Le Monde

C’était la disposition la plus contestée de la loi sur le terrorisme, adoptée fin 2014. La possibilité offerte à la police d’ordonner, sans le contrôle du juge judiciaire, le blocage des sites, avait concentré les critiques.

La remise du premier rapport de la personnalité qualifiée, vendredi 15 avril, permet de dresser un premier bilan du très controversé dispositif. Cette personnalité qualifiée, désignée au sein de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, est chargée de contrôler la « régularité » des demandes de retrait, de blocage et de déréférencement des moteurs de recherches émises par la police. Elle peut adresser une recommandation en cas de demande irrégulière, voire saisir le juge administratif.

Lorsque l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), la division de la police nationale chargée d’Internet, repère des contenus pédopornographiques, incitant à la commission d’un acte terroriste ou en faisant l’apologie, il demande à l’hébergeur du contenu sa suppression. En l’absence de réponse sous 24 heures ou de moyen de contacter ledit hébergeur, l’OCLCTIC transmet aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) la liste d’adresses à bloquer. Il informe également la personnalité qualifiée.

Cette nouvelle mission au sein de la CNIL, qui s’occupe d’ordinaire de la protection des données personnelles, a mobilisé huit agents, en plus de la personnalité qualifiée, depuis le mois de mars 2015 et le début de l’application du blocage. En tout, 25 séances ont été organisées pour contrôler la régularité des demandes de retrait, de blocage ou de déréférencement.

Un premier bilan chiffré

Le premier enseignement de cette année de contrôles est la très forte augmentation des demandes de retrait de contenus après les attentats du 13 novembre. 800 demandes de retrait par mois pour le seul mois de janvier 2016 ont été formulées, contre moins d’une centaine chaque mois entre juillet et octobre. Le rapport de la personnalité qualifiée ne précise pas sur combien de blocages effectifs ces demandes ont abouti.

Après les attentats de Paris et de Saint-Denis, le ministère de l’intérieur s’est donné les moyens juridiques de contourner le mécanisme de contrôle de la CNIL, en vertu de la loi sur l’état d’urgence qui permet au ministère de l’intérieur de prendre « toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ». Les forces de l’ordre ont cependant choisi d’ignorer cette possibilité et ont continué à transmettre les demandes à la personnalité qualifiée.

Au total, l’OCLCTIC a procédé à 1 439 demandes de retrait de contenus. 90 % d’entre eux étaient des contenus terroristes, et 10 % des contenus pédopornographiques : plus de 8 fois sur 10, ces demandes de retrait ont été suivies d’effet. Dans le cas contraire, l’OCLCTIC peut demander aux FAI le blocage des sites. 312 demandes de blocage ont été adressées : 68 ont concerné des contenus terroristes et 244 des sites pédopornographiques. 855 demandes de déréférencement ont été transmises aux moteurs de recherche (386 pour des contenus terroristes et 469 pour des contenus pédopornographiques).

Actuellement, 60 sites sont bloqués pour terrorisme et 223 autres le sont pour des contenus pédopornographiques.

Des décisions de police « pertinentes »

Lors de ses 25 séances consacrées au contrôle, la personnalité qualifiée n’a adressé qu’une seule recommandation à l’OCLCTIC, que cette dernière a suivi : cela montre, écrit-elle dans son rapport, « la pertinence des décisions de l’OCLCTIC ». Cette recommandation portait sur de multiples demandes concernant la photographie prise à l’intérieur du Bataclan après les attentats. La personnalité qualifiée indique que, conformément aux textes, « seul le contexte de diffusion de cette photo est de nature à caractériser les infractions de provocation à des actes de terrorisme ou d’apologie de tels actes ». 96 demandes de retrait de la photographie du Bataclan n’étaient pas conformes à la loi.

Cependant la personnalité qualifiée a dû demander à plusieurs reprises à l’OCLCTIC de fournir des éléments pour justifier ses demandes, notamment en matière terroriste où le contexte est nécessaire pour effectuer un contrôle conforme à la loi. Et, « à plusieurs reprises », ces demandes ont conduit la police à faire marche arrière.

Aucun surblocage, c’est-à-dire de pages bloquées mais n’ayant pas vocation à l’être, n’a été observé par la personnalité qualifiée. Il s’agissait d’une des inquiétudes des opposants à la mesure, qui craignaient des effets collatéraux. Un autre argument qu’ils opposaient au gouvernement était l’inefficacité de la mesure, étant donné la facilité avec laquelle un site peut être reproduit une fois qu’il a été bloqué. Même si la personnalité qualifiée n’est pas « en mesure de porter une appréciation sur l’efficacité du dispositif », elle remarque cependant que dans le cas des sites pédopornographiques, « de nouveaux sites identiques apparaissaient, avec une adresse légèrement modifiée », après le blocage.

Le rapport de la personnalité qualifiée dévoile, et c’est une première, le nombre d’internautes se connectant à la page du gouvernement qui s’affiche à la place des sites bloqués. Autrement dit, le nombre de tentatives de connexion à ces sites interdits. Il est, en moyenne, de 34 000 pour les sites pédopornographiques et de 494 pour les contenus terroristes. Ce dernier chiffre peut paraître faible au regard du caractère stratégique qui lui conférait le gouvernement lors du débat autour de la mesure.