Après dix-sept ans d’instruction, la justice a conclu, le 9 mars, à un non-lieu dans l’enquête sur le vaccin contre l’hépatite B. Ce vaccin était mis en cause dans l’apparition de certaines maladies neurologiques telles que la sclérose en plaques. Les familles des victimes ont décidé de faire appel. Pour répondre aux inquiétudes des Français et avant une possible réforme des vaccins, un grand débat a été annoncé pour l’année 2016 par Marisol Touraine, ministre de la santé.

Anne Chailleu, présidente de Formindep, une association pour une formation et une information médicales indépendantes, fait le point sur les liens d’intérêts entre les laboratoires pharmaceutiques et les personnes chargées d’élaborer et mettre en œuvre la politique vaccinale et sur les procédures enclenchées pour améliorer la transparence.

Votée en 2011, au lendemain du scandale du Mediator, la loi Bertrand oblige les laboratoires à déclarer les « cadeaux » offerts aux professionnels de santé. Depuis son entrée en vigueur en 2013, à quel point ce « Sunshine Act » a-t-il aidé à plus de transparence ?

Anne Chailleu : indéniablement. Cependant, quatre ans après son adoption, elle n’est toujours pas appliquée pleinement. Les décrets d’application n’ont été publiés qu’en 2013, mais surtout ils étaient très en deçà de la volonté du législateur puisqu’ils excluaient de publier les rémunérations des contrats qui lient médecins et firmes. Notre association, le Formindep, ainsi que le Conseil national de l’ordre de médecins, a donc déposé une requête en abus de pouvoir auprès du Conseil d’Etat, qui a statué en notre faveur, en février 2015.

A compter de cette date, et rétroactivement depuis le 1er janvier 2012, ces rémunérations devraient être publiées sur le site transparence.sante.gouv.fr, au côté des avantages (voyages, congrès, restauration…) qui eux l’étaient déjà depuis juin 2014.

Mais, un an après, cela n’a toujours pas été fait. Les industriels s’y refusent ouvertement, et le ministère de la santé n’a jamais publié un arrêté nécessaire à la transmission de ces données.

Aujourd’hui, on craint que la nouvelle loi de santé nous fasse perdre l’historique de ces contrats. Il va falloir suivre la publication des décrets de près, face au lobbying des industriels qui demandent à occulter les contrats de ces dernières années.

Alors que la méfiance des Français augmente face aux vaccins (10 % en 2005, 40 % en 2010), selon l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), que pensez-vous de l’information donnée aux patients ?

Cette information est étonnamment peu assurée par les autorités elles-mêmes. Les sociétés savantes, notamment l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) et la Société française de pédiatrie (SFP) émettent leurs propres recommandations, en dehors du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et de son comité technique de vaccination (CTV). Chacune de ces sociétés savantes est financée par les producteurs de vaccins. Elles ne sont pas indépendantes.

Leur communication se limite bien souvent à la promotion de la vaccination. Ainsi, leur avis sur les vaccins contre les rotavirus [responsables des gastro-entérites] est parlant. Alors que le vaccin n’a été que brièvement recommandé par le HCSP (entre novembre 2013 et avril 2015), les sociétés savantes l’ont recommandé dès son arrivée sur le marché en 2006, et le font encore aujourd’hui.

Le site Infovac.fr, qui est un des principaux sites d’information sur les vaccins, a aussi des liens avec l’industrie pharmaceutique. Les experts qui s’expriment sur le site, bien que présentés comme “indépendants des firmes pharmaceutiques”, ont plusieurs contrats avec l’industrie, selon les déclarations d’intérêts publiées sur le site.

Ces déclarations sont d’ailleurs moins complètes que celles disponibles sur la base de données publique Transparence. Les associations qui coaniment ce site sont également financées par les grands groupes. De plus, les laboratoires peuvent faire la publicité de leurs vaccins, y compris auprès du public, contrairement à bon nombre d’autres produits de santé.

Selon vous, le CTV, chargé d’élaborer la stratégie vaccinale, est-il indépendant ?

Les membres du CTV ont aujourd’hui moins de liens d’intérêts avec l’industrie mais l’attitude propagandiste n’a pas changé. Devant un possible effet secondaire dû à un vaccin, y compris devant un rapport de pharmacovigilance officiel, le premier réflexe semble être le déni.

Par exemple, lors du décès d’une petite fille à Angers, suite à la mauvaise prise en charge d’une hyperthermie après l’administration simultanée de deux vaccins (Infanrix et Prévenar) en juin 2015, le président du CTV, Daniel Floret, a affirmé que « l’association de ces deux vaccins ne pose pas de problème particulier ».

Cependant, depuis plusieurs années, le surrisque d’hyperthermie et de convulsions en cas de coadministration, qui reste faible, est connu et notifié, y compris sur les notices des deux vaccins en questions. Effectuer les injections en deux visites permet de diviser ce risque, même s’il est déjà minime. Mais le calendrier vaccinal élaboré par le CTV ne contient, lui, toujours aucune mise en garde.

Vaccins : « On ne peut pas prolonger le statu quo »
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Comment expliquez-vous une telle défiance de la population ?

Outre un problème de crédibilité, il y a une grande maladresse dans la communication de la part des autorités.

La vaccination est présentée comme une fin en soi, on en vient à oublier ce qu’elle prévient. On parle de « la » vaccination, ce qui n’a aucun sens, chaque vaccin ayant un rapport bénéfice-risque propre, et qui évolue dans le temps. Dès lors, toute évocation d’un risque ou d’un manque de bénéfice d’un vaccin particulier est considérée comme une remise en cause de l’efficacité de « la » vaccination dans son ensemble, qui ne se discute pas.

Les autorités ont une attitude très paternaliste : « Ne les affolons pas, ne parlons pas des effets indésirables… » Pourtant, ce manque de transparence alimente la défiance, car faute d’information le public risque de surestimer grandement les risques, et cela attise finalement les peurs. Il faut répondre à ces questions sereinement, en toute rigueur scientifique. On ne peut pas faire de médecine avec des dogmes ou des tabous.

Les autorités communiquent sur un plan, celui du bénéfice collectif, qui n’est pas celui des parents, qui s’intéressent au bénéfice individuel pour leur enfant. De surcroît, faire aussi bruyamment appel au sens du devoir donne à la vaccination une tonalité bizarrement sacrificielle.

C’est d’autant plus maladroit que les autorités ne se sentent pas tenues d’un devoir réciproque vis-à-vis des personnes chez qui le risque se matérialise. Alors qu’elles ont rempli leur part du contrat collectif en suivant des recommandations officielles, les victimes [par exemple les enfants atteints de narcolepsie suite à un vaccin H1N1] sont rarement indemnisées – c’est le lot de toutes les victimes d’iatrogénie médicamenteuse – mais de surcroît sont stigmatisées comme des traîtres à la cause.

Pour diriger la politique vaccinale de façon plus efficace, la première chose à faire serait de changer les structures et les personnes, en séparant l’évaluation, qui se doit d’être indépendante et transparente d’une part, de la mise en œuvre de la politique d’autre part.

Le rapport Hurel préconise notamment de rattacher la politique vaccinale du CTV à la Haute Autorité de santé. Cela semble aller dans le bon sens.