Le sujet a décidément le don de provoquer des couacs au sein du gouvernement. Interdire le voile à l’université ? « Il faudrait le faire », a déclaré Manuel Valls dans Libération, mercredi 13 avril, avant que la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, et le secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur ne le contredisent : « Il n’y a pas besoin de ce texte », a rétorqué Thierry Mandon. Il y a un an, c’était Pascale Boistard, secrétaire d’Etat alors chargée des droits des femmes, et Geneviève Fioraso, qui occupait le poste actuel de M. Mandon, qui croisaient le fer sur le même thème.

Le sujet déchaîne les passions. A droite, le débat oppose MM. Sarkozy et Ciotti – pour l’interdiction – à MM. Juppé et Fillon. Pourtant, si le sujet est controversé politiquement, ce n’est pas le cas, a priori, d’un point de vue juridique. Le premier ministre le reconnaît d’ailleurs dans l’interview : « Des règles constitutionnelles, dit-il, rendent cette interdiction difficile. »

« Il n’y a aucune ambiguïté juridique sur ce point », abonde Christian Mestre, professeur de droit et « référent laïcité » pour la Conférence des présidents d’université (CPU). « La communauté universitaire est pour la liberté religieuse, politique, syndicale et opposée à l’interdiction du port du voile à l’université », a d’ailleurs tweeté la CPU, mercredi. Les textes garantissant les libertés publiques protègent en effet la liberté de conscience et d’expression des citoyens, donc des étudiants. Seuls les personnes exerçant une mission de service public sont soumises à une obligation de neutralité religieuse (et politique).

« 130 cas » d’incidents

Mais de quelle laïcité parle-t-on ? En janvier, une vive polémique opposant le premier ministre au président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, avait rappelé que le camp laïque se déchire entre les tenants d’une laïcité libérale et ceux qui, à l’instar de M. Valls, prônent « une défense intransigeante » de la laïcité. Une laïcité de combat, dénoncent certains.

M. Bianco a rappelé mercredi son opposition à l’interdiction du voile à l’université. Ce qui compte, insiste-t-on à l’observatoire, ce n’est pas le vêtement, mais le comportement.

« La vraie menace est ailleurs », indique une motion votée en mai 2015 par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser), l’instance qui représente la communauté universitaire auprès du ministre. « Elle réside dans le risque d’intrusion des religions et d’idéologies diverses dans la science, le contenu des enseignements ou des champs de recherche », poursuit le texte.

Dans un avis de 2015, l’observatoire faisait état de « 130 cas » d’incidents liés à la gestion du fait religieux, pour deux millions d’étudiants : date d’examen dénoncée car tombant le jour d’une fête religieuse, contestations d’enseignements, jeunes femmes refusant d’ôter leur voile lors d’un contrôle de sécurité au moment d’une épreuve, bible posée sur une table d’examen, etc.

« L’habit en lui-même ne suffira pas » à une sanction

D’ailleurs, c’est ainsi que la justice voit les choses. Les étudiants sont libres d’exprimer leurs convictions religieuses, énonçait le Conseil d’Etat en 1996. Mais « cette liberté, précisait-il, ne saurait leur permettre d’exercer des pressions sur les autres membres de la communauté universitaire, d’avoir un comportement ostentatoire, prosélyte ou de propagande, ni de perturber les activités d’enseignement et de recherche ou de troubler le bon fonctionnement du service public ». Une limitation d’ailleurs prévue par tous les textes garantissant la liberté d’expression.

Quand le voile se transforme en tunique noire enveloppant tout le corps, est-on en présence d’un « comportement ostentatoire » ? « C’est tout le problème avec le voile, a déclaré Nathalie Kosciusko-Morizet, mercredi, il y a des choses très discrètes, mais il y a un moment où cela devient plus un signe politique. » « L’habit en lui-même ne suffira pas » à une sanction, dit-on à l’Observatoire de la laïcité. Mais « s’il y a volonté délibérée de provoquer, en se mettant à plusieurs au premier rang, en contestant ou en protestant, oui il peut y avoir sanction ». Ces cas sont très rares, cependant, dit-on de même source.