Volodymyr Hroïsman au parlement de Kiev, en Ukraine, le 14 avril. | VALENTYN OGIRENKO / REUTERS

C’est la fin – très certainement provisoire – d’une crise politique longue de deux mois. Jeudi 14 avril, le Parlement ukrainien a validé la nomination d’un remplaçant au premier ministre Arseni Iatseniouk, démissionnaire, à la tête de l’exécutif du pays. Ce sera Volodymyr Hroïsman, un très proche du président Petro Porochenko, qui a reçu l’approbation de 257 députés sur une majorité requise de 226.

Cette nomination ne faisait que peu de doute. En annonçant sa démission, dimanche, M. Iatseniouk s’était payé le luxe de donner le nom de son successeur. Le même jour, celui-ci avait été confirmé par le président Petro Porochenko. Et pourtant, l’affaire a viré au psychodrame politique, discipline où l’Ukraine est championne. Il a fallu des nuits entières de négociations, des menaces de l’impétrant de ne finalement pas accepter le poste pour que la crise se dénoue. En cause : la répartition des postes entre les différentes forces de la majorité – et le contrôle des flux financiers allant avec. A cette occasion, le président du Parlement a montré qu’il était prêt à s’opposer à son patron.

Volodymyr Hroïsman, âgé de seulement 38 ans, issu d’une famille juive, n’est pas un nouveau venu sur la scène politique ukrainienne. Il a gagné ses galons et sa réputation de bon gestionnaire à la tête de la ville de Vynnitsa, dont Petro Porochenko a fait la base arrière de ses affaires. Nommé vice-premier ministre dans la foulée de la révolution de Maïdan, puis président du Parlement, il a mené à bien la réforme de la décentralisation, l’un des quelques succès à mettre au crédit de l’équipe sortante. « Sa proximité avec le président risque de limiter sa capacité d’action, juge le politologue Volodymyr Fessenko. Mais il a un potentiel de réformateur intéressant. »

Homme de compromis et bon négociateur

A Kiev, des médias lui ont reproché d’avoir poussé la nomination de ses proches du « clan de Vinnytsya » à des postes publics importants, par exemple à la tête de la Poste, position profitable mais opaque, ce qu’il a nié. Il a aussi été accusé de violer les règles de l’Assemblée, notamment en faisant revoter plusieurs fois d’affilée les députés pour faire passer des lois voulues par M. Porochenko. Ce fut le cas lors du vote d’un amendement au code du travail visant à interdire les discriminations envers les homosexuels, mesure réclamée par l’Union européenne mais impopulaire en Ukraine. Après l’adoption de cet amendement, M. Hroïsman s’était empressé d’en relativiser la portée en affichant son opposition au mariage homosexuel. « Mon Dieu, faites que cela n’arrive jamais. Nous ne soutiendrons jamais cela », avait-il lancé.

Volodymyr Hroïsman, homme de compromis et réputé bon négociateur, s’est surtout imposé, estime M. Fessenko, comme « une solution de secours », après l’échec de la candidature de la ministre des finances, Natalia Jaresko, très appréciée des chancelleries occidentales et des cercles réformateurs, mais dont le Parlement ne voulait pas. Quant à Arseni Iatseniouk, sa position était devenue intenable depuis le vote de défiance évité de justesse le 16 février. Proche du néant dans les sondages, accusé de chapeauter un système de corruption généralisée et de bloquer l’adoption de réformes structurelles, M. Iatseniouk semblait même avoir été lâché par les capitales occidentales, dont il fut longtemps le favori.

« Je mesure les menaces qui pèsent sur nous. J’aimerais en souligner trois : la corruption, l’inefficacité du travail gouvernemental et le populisme, qui ne sont pas moins menaçants que nos ennemis de l’Est », a dit M. Hroïsman au Parlement, en amont du vote, avant d’ajouter, très martial : « Je vais vous montrer ce que diriger un pays veut dire. »

Influence des oligarques

Au-delà de la personnalité du nouveau premier ministre, ce sont les équilibres au sein de la nouvelle coalition qui risquent de déterminer la capacité du pouvoir à conduire une politique volontariste et réformatrice. Dans la foulée du vote de défiance du 16 février, la coalition codirigée par MM. Porochenko et Iatseniouk avait perdu ses deux alliés minoritaires. La coalition investie jeudi conservera ce format réduit, se limitant à une alliance entre le Bloc Petro Porochenko et le Front populaire d’Arseni Iatseniouk, enrichie de quelques soutiens débauchés parmi les élus indépendants.

Cette nouvelle donne met certes le pouvoir à l’abri des pressions et des menaces des populistes Oleg Liachko et Ioulia Timochenko, désormais dans l’opposition. Mais dans le même temps, elle crée un nouveau danger : avec son format réduit et ses ralliements négociés au cas par cas, la coalition se montre plus perméable que jamais à l’influence des structures oligarchiques qui contrôlent certains de ces députés. « Hroïsman est un symptôme des blocages de l’Ukraine, tranche le politologue Mikhaïl Minakov, fin connaisseur de la scène oligarchique. Il a toutes les chances de devenir un nouveau Iatseniouk, à la fois dans sa volonté de concurrencer le président et dans sa dépendance aux grands oligarques tels qu’Igor Kolomoïski ou Rinat Akhmetov. »

L’équipe présentée par M. Hroïsman, qui doit selon lui « fournir des résultats et restaurer la confiance dans le pouvoir », est un premier indicateur de cette nouvelle tendance. Elle fait la part belle aux représentants de la vieille garde, comme le ministre des finances Olexandre Danyliouk, qui avait été conseiller du président déchu Viktor Ianoukovitch, aux côtés de jeunes réformateurs. La chef de file de ces derniers devrait être Ivanna Klympush-Tsintsadze, nommée vice-première ministre et chargée de l’intégration européenne. On ne trouve en revanche plus aucun étranger à un poste de ministre, contrairement au cas de l’équipe précédente.

Ce renouvellement au sommet devrait donner un nouveau souffle à M. Porochenko, lui aussi sévèrement critiqué pour son manque de combativité face à la corruption et son implication dans les révélations des « Panama papers ». Il risque aussi, dans le même temps, de priver le président du paravent confortable que constituait sa rivalité avec Arseni Iatseniouk. Depuis un an, le président a tout fait pour accroître son emprise sur le pouvoir. Il devra désormais en assumer directement les conséquences.