Des forces armées répriment une manifestation, le 13 mai 2015, à Bujumbura contre un troisième mandat du président burundais Pierre Nkurunziza | JENNIFER HUXTA/AFP

26 avril 2015. Les habitants de Bujumbura envahissent les artères de leur ville pour dire « non » au troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Le mouvement de contestation s’amplifie de jour en jour. Quelques mois plus tard, les gaz lacrymogènes de la police cèdent la place aux balles réelles. Les Nations unies parlent déjà de plus de 500 vies fauchées en un an. Tant d’événements, de rebondissements, de tragédies ont émaillé cette année que le Burundi vient de passer, empêtré dans une crise qui peine à trouver une issue favorable, que certains n’hésitent plus à parler de « pourrissement ».

Le décor planté, faut-il alors parler d’un génocide en préparation au Burundi ? D’une ethnie montée contre une autre, comme on l’entend dans les discours politiques, comme on le lit sur les réseaux sociaux, parfois même dans la presse locale et internationale ?

Pour moi, l’hypothèse d’un simple contentieux entre Hutu et Tutsi pouvant déboucher sur un génocide est à prendre avec des pincettes. La raison est simple : le Burundi n’a jamais connu de conflit foncièrement ethnique. Des centaines de milliers de Burundais ont été sacrifiées sur l’autel des ambitions inavouées de son élite politique. Ce ne sont pas les acteurs en scène, en train de se déchirer aujourd’hui, qui me contrediront. Eux qui se sont mis d’accord à Arusha, à la fin des années 1990, lors des négociations qui ont mis fin à la guerre civile en 2000, que le Burundi a toujours eu affaire à des conflits politiques mais à caractère ethnique. Aux sceptiques de regarder la configuration des protagonistes actuels : des Hutu qui pourchassent d’autres Hutu, des Tutsi et des Hutu qui se serrent les coudes pour faire barrage à un régime qui ne veut pas couper la poire en deux. La composition métissée du Parlement burundais et celle du CNARED, mouvement qui réunit la plupart des opposants politiques, en disent long.

Une ethnicisation à l’horizon

C’est monnaie courant. Une crise éclate au Burundi. « Ça y est ! Les Hutu et les Tutsi veulent encore une fois se rentrer dedans. » C’est souvent la lecture faite par les acteurs internationaux, parfois moins avisés. Au-delà des langues qui jouent sur la lourdeur des mots pour des enjeux qu’elles seules savent, certains sont pris au piège par la position géo-historique de ce petit pays au cœur de l’Afrique. Mais le Burundi n’est pas le Rwanda.

Ces deux pays ont presque la même langue, la même culture, ont eu le même colon… et sont composés des mêmes ethnies : les Hutu, les Tutsi et les Twa. Des éléments qui peuvent suffire pour se méprendre sur l’histoire politique du Burundi, le spectre du génocide de 1994 au Rwanda ajoutant son ombre. S’il faut oser le dire : le Rwanda fait face à un conflit ethnique, le Burundi non.

Et sur le plan national ? C’est la grande question : comment une manifestation qui rassemblait les Hutu et les Tutsi à Bujumbura a vite porté l’étiquette d’une insurrection orchestrée par une minorité ethnique qui ne rêve que d’une chose : revenir aux affaires ? Deux explications majeures. Sans nul doute, il n’y avait aucune réponse convaincante qui pouvait éteindre la fureur d’une jeunesse frustrée, éduquée mais sans perspectives d’avenir, sans emplois parfois, si ce n’est se recroqueviller dans les échappatoires ethniques.

Enfin, la mémoire. Des hommes politiques, acteurs et victimes des crises antérieures à caractères ethniques, n’ont pas hésité à crier à qui veut l’entendre que ce qui se passe au Burundi est juste la réédition de 1972, 1988 ou 1993.

Un message qui passe très mal aux oreilles de la jeunesse. A ces dates-là, la plupart n’étaient pas encore nés.

Armel Gilbert Bukeyeneza