Des familles de victimes de l’accident ferroviaire survenu le 12 juillet 2013 en gare de Brétigny-sur-Orge (Essonne), arrivent au palais de justice de Paris, lundi 9 mai 2016. | THOMAS SAMSON / AFP

La rencontre de trois heures a mis fin à trois ans d’attente. Les victimes de l’accident ferroviaire survenu le 12 juillet 2013 en gare de Brétigny (Essonne) ont été reçues lundi 9 mai au palais de justice de Paris, un rendez-vous devenu la norme pour les catastrophes de grande ampleur.

Les trois juges d’instruction chargés de l’enquête ont dressé pour la première fois depuis l’accident une synthèse de ce dossier, particulièrement technique, volumineux de dix-huit tomes. S’ils ont reconnu que la SNCF entravait l’enquête, les juges laissent les victimes sur leur faim en assurant ne pas disposer d’éléments suffisamment étayés pour engager des poursuites contre des personnes physiques potentiellement responsables de l’accident, qui a fait sept morts et des dizaines de blessés.

Comme les soixante-dix victimes de l’accident présentes au palais de justice, Thierry Gomes, président de l’association Entraide et défense des victimes de la catastrophe de Brétigny (EDVCB), a obtenu « une synthèse neutre et complète » sur les causes du déraillement du train Intercités n° 3657 reliant Paris à Limoges. Selon les juges d’instruction, l’accident est imputable à un déficit de maintenance, plus particulièrement à l’état de délabrement d’une éclisse – une pièce servant à joindre deux rails. Cette agrafe métallique de 10 kilogrammes était fissurée, si bien qu’en pivotant sur l’un de ses boulons d’attache qui était dévissé, cette pièce a fonctionné comme un tremplin pour le train, provoquant son déraillement.

« La SNCF ne nous dit pas tout »

Mais pour les cent soixante-sept victimes qui se sont portées partie civile, ces éléments ne constituent en rien des révélations. Informées par voie de presse et par leurs avocats des derniers rebondissements de l’enquête, elles ont surtout eu confirmation de leur intuition, portant sur le manque, voire l’absence, de coopération de la SNCF. Parmi les obstacles rapportés par les juges : « des communications très tardives et très parcellaires de pièces », « les suspicions de préparation de faux documents » et « les préparations d’entretiens » avant les auditions, détaille Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac), partie civile.

Des éléments mis au jour par les écoutes judiciaires ordonnées par les juges sur plusieurs cheminots du secteur de Brétigny, et donnant lieu à plus de six cents pages de retranscription. Du jamais vu dans une enquête sur un accident ferroviaire. « Signe que les juges ont l’intuition que la SNCF ne nous dit pas tout », commente M. Gicquel, interrogé par Le Monde. Dans ce volet du dossier, les juges n’ont pas été saisis par le procureur pour poursuivre leurs investigations sur une éventuelle entrave à la justice ou une subornation de témoins, et les parties civiles n’ont pas porté plainte jusqu’à présent. « Je me pose la question d’engager des poursuites », a réagi Jean-Luc Marissal, responsable en ressources humaines et l’un des passagers du train, présent au palais de justice.

Le double discours de la compagnie ferroviaire était en effet au cœur des questions posées lundi par les victimes. D’un côté, la direction de la SNCF, avec à sa tête Guillaume Pepy, qui reconnaît des problèmes de maintenance des voies ; de l’autre, les avocats qui défendent la thèse de la rupture brutale de l’éclisse liée à un défaut de l’acier. Une piste jamais confortée par les différentes expertises.

Aucune personne physique poursuivie

Et qui ne risque pas de l’être, puisque l’enquête est sur le point d’être bouclée. M. Gomes, qui a perdu ses deux parents dans l’accident, déplore d’ailleurs n’avoir eu aucun délai concret sur la fin de l’instruction. Victimes et avocats regrettent surtout que les juges n’aient pas prévu de pointer les responsabilités de personnes physiques. « Cette rencontre était décevante, on nous explique que l’enquête touche à sa fin, mais des portes restent fermées », dit Me Gérard Chemla, avocat d’EDVCB, qui estime qu’une analyse du dossier est à refaire :

« Il y a des responsables, qui étaient au courant des problèmes de maintenance et de l’état de délabrement des voies, qui n’ont rien fait et qui pourraient être poursuivis. »

Depuis l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet d’Evry le 24 juillet 2013, seules deux personnes morales ont été mises en examen, la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), toutes deux mises en cause pour homicides et blessures involontaires. Trois cheminots de la SNCF, chargés de la surveillance des voies au moment du déraillement, ont, eux, été placés sous le statut de témoin assisté.

Si cette réunion constitue donc un soulagement pour les victimes qui attendaient fermement cette rencontre avec les magistrats instructeurs, M. Marissal conclut : « Notre soif de vérité demeure intacte. »