Le buste de Marianne, le 9 décembre 2015. | ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Les accusations d’agressions sexuelles visant Denis Baupin l’ont une nouvelle fois prouvé : le sexisme n’épargne aucune sphère de la société, encore moins la très masculine sphère politique. « Dans tous les partis, il y a du sexisme », « les remarques déplacées, les gestes équivoques, ça arrive, comme partout », « il y a du sexisme dans tous les lieux de pouvoir », lâchent pêle-mêle des élus Les Républicains, socialistes ou communistes, encore marqués par l’affaire DSK, qui avait mis au jour le sentiment de toute-puissance de certains hommes politiques.

Quels dispositifs ont-ils été mis en place par les différents partis pour lutter contre ce sexisme ambiant, qui peut parfois se muer en situation de harcèlement, d’agression sexuelle, voire de viol ? A la différence du milieu de l’entreprise, où les employeurs sont tenus de sanctionner tout salarié reconnu coupable de violences sexuelles, les partis politiques n’ont pas l’obligation légale de sanctionner leurs élus ou leurs militants. C’est donc la loi du cas par cas. Et force est de constater que les solutions apportées sont aussi nombreuses qu’il y a de partis politiques, allant de l’absence de dispositif spécifique chez Les Républicains à la « tolérance zéro » des communistes.

Des instances consacrées aux droits des femmes à gauche

Point de convergence entre les partis de gauche historiques, le Parti communiste (PCF) et le Parti socialiste (PS) : tous deux ont créé un secrétariat national chargé du droit des femmes et de la parité. « Ce secrétariat est inscrit dans nos statuts depuis plus de vingt ans », informe la socialiste Claude Roiron, secrétaire nationale aux droits des femmes et à la parité. Au PS, comme au Parti communiste, ces secrétaires siègent au bureau national, ils ont donc droit de cité au sein de la direction. Au sein des Parti de gauche (PG) et Europe Ecologie-Les Verts (EELV), c’est la sémantique qui diverge : les questions des droits des femmes reviennent aux commissions féministes. Les prérogatives de ces instances varient en fonction des partis, notamment concernant la gestion des cas de harcèlement et d’agressions sexuelles.

Au PCF et au PG, le mot d’ordre est à la « tolérance zéro », répètent leurs dirigeants comme un leitmotiv. Perçus comme « une atteinte à l’intégrité et à la dignité humaine », ces faits constituent un motif d’exclusion, inscrit dans les statuts du Parti communiste. « Il y a eu des élus exclus, c’est arrivé, car, si un cas est avéré, il n’y a pas de complaisance. Nous sommes très fermes sur ce sujet », assure la sénatrice Laurence Cohen, qui préside la commission féminisme-droits des femmes. En 2011, Guy Rouveyre, conseiller général (PCF) et premier adjoint d’Echirolles, avait démissionné de ses deux mandats, après que son parti avait appris sa condamnation pour agressions sexuelles.

Même ligne directrice au Parti de gauche, qui refuse d’« être gouverné par des harceleurs », lance Danielle Simonnet, coordinatrice du PG :

« Nous sommes attachés au fait de révoquer les élus, même quand les affaires n’ont pas encore été jugées, et que les faits rapportés sont avérés et accablants. »

Jusqu’ici, le jeune parti créé en 2008, n’a jamais eu à prendre de telles mesures. Layla Yakoub, secrétaire nationale au féminisme, rapporte seulement le cas d’un militant accusé d’avoir harcelé une élue par téléphone. « Le groupe local avait réagi immédiatement en lui demandant de quitter le parti », rapporte Layla Yakoub. Le militant indélicat s’était alors exécuté, sans que l’affaire ait besoin de passer devant la commission de résolution des conflits.

Des sanctions prises au cas par cas

Le PS tient peu ou prou le même discours, même s’il « n’est pas prévu dans les statuts du parti de sanction spécifique contre le harcèlement et les agressions sexuelles », rapporte Claude Roiron. La commission des conflits du PS, ayant autorité dans ce genre d’affaire, statue donc au cas par cas. Et peut décider d’engager des procédures d’exclusion. « Jusqu’ici, il n’a jamais été rapporté, à ma connaissance, des faits de cette nature entre deux camarades socialistes », assure Claude Roiron, qui précise que le recueil des témoignages s’opère généralement au niveau des fédérations départementales.

En réalité, des faits d’agressions sexuelles ont déjà été mis au jour au sein du Parti socialiste, lequel laisse la justice trancher avant de prendre la moindre décision. En 2002, deux employées de mairie avaient accusé Jacques Mahéas, sénateur et maire de Neuilly-sur-Marne, d’agressions sexuelles. Après plusieurs recours successifs devant la justice, l’élu avait été condamné définitivement pour agressions sexuelles en mars 2010. L’affaire DSK, qui a éclaté quelques mois plus tard, en mai 2011, avait rendu le cas de Jacques Mahéas « gravement préjudiciable » au PS. L’élu avait donc été auditionné en juillet 2011 par la commission des conflits, qui n’avait finalement pas eu à statuer sur son éviction, Jacques Mahéas ayant fait le choix de démissionner de lui-même.

A Europe Ecologie-Les Verts, la politique est la même qu’au PS, où il n’existe pas de sanction spécifique pour gérer les cas de violences faites aux femmes. L’article 20 des statuts d’EELV prévoit toutefois la possibilité de radier des membres pour motifs graves. « Le bureau exécutif national, composé de quinze membres, dispose également de la possibilité d’agir en justice en son nom », rappelle, dans une tribune au HuffingtonPost où il réagit à l’affaire Baupin, Jean-Baptiste Soufron, avocat indépendant.

Au sein de parti écolo, ces dispositifs n’ont jamais été appliqués. Pourtant, en mai 2015, quelques jours après la publication dans Libération d’une tribune de femmes journalistes dénonçant le sexisme en politique, la présidente de la commission féminisme, Dominique Trichet-Allaire, avait expliqué, lors d’un conseil fédéral du parti, que des faits relevant de harcèlement et d’agressions sexuels lui avaient été rapportés en interne. Dans la foulée, le bureau exécutif du parti avait convoqué une réunion pour aborder la question. Une adresse mail à l’attention des journalistes, élues et militantes qui souhaiteraient alerter sur des comportements déplacés de la part d’élus écologistes avait été créée. Et un groupe de réflexion mis en place. Autant de démarches qui se sont révélées infructueuses. Aucun mail n’a été envoyé à l’adresse ad hoc, par peur que la présidente du parti de l’époque, Emmanuelle Cosse, la compagne de Denis Baupin, ne les lise. La suite est connue de tous : les faits éclatent lundi 9 mai, un an après, à la faveur du témoignage de huit femmes ayant décidé de briser l’omerta.

« Briser la loi du silence »

A la lumière de l’affaire Baupin, accusé d’avoir bénéficié d’une forme de bienveillance, qui n’est pas sans rappeler celle qui s’était manifestée envers Dominique Strauss-Kahn, différents partis politiques ont amorcé des réflexions pour « briser la loi du silence » et « libérer la parole des femmes ». En première ligne, EELV a publié un communiqué le jour même des révélations :

« Dans l’immédiat, Europe Ecologie-Les Verts entend mettre en œuvre de nouveaux dispositifs internes pour faciliter la libération de la parole, en accompagnant les personnes victimes de comportements répréhensibles, en recueillant leur parole, en les accompagnant vers des associations spécialisées et en mettant à disposition des moyens pour les soutenir dans d’éventuelles démarches juridiques. »

Le 28 mai, le Parti socialiste tiendra une commission droit des femmes pour réfléchir aux manières de « mieux écouter leurs souffrances ». « Il faut essayer de leur donner des lieux, pour instaurer une confidentialité, permettant de libérer leur parole. Cela pourrait être un site Internet ou une boîte mail », détaille la socialiste Claude Soiron, secrétaire nationale du droit des femmes et de la parité, qui envisage également de créer un réseau de femmes en interne :

« Ce réseau serait organisé avec des militantes, des personnes de la vie associative et des femmes de gauche qui souhaitent faire progresser le droit des femmes dans le pays. »

Une initiative similaire est en réflexion à l’Assemblée nationale, où Claude Bartolone a décidé, après avoir eu écho en 2013 de cas de sexisme, de nommer au sein de son cabinet une personne référente – en dehors de toute hiérarchie – pouvant être contactée dans des cas d’agressions ou de harcèlement. « En deux ans, un seul signalement a été enregistré. Il faut donc que ce poste soit plus visible, plus connu et plus facile d’accès », estime Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Cette dernière envisage, elle aussi, l’instauration d’une plate-forme Internet, ou d’une adresse mail, « comme cela a été fait dans l’armée. »

Le Parti de gauche mise également sur une meilleure communication auprès de ses élus et de ses militants et prévoit de distribuer prochainement un document récapitulant les positions du parti sur le sexisme. Ce document listerait également les contacts de personnes à interpeller en cas de besoin. « Dans certaines régions, il n’y a pas forcément de militants suffisants pour recueillir la parole, ou les réseaux de militants sont trop restreints pour que les femmes osent parler. Ces contacts individuels peuvent être de bon relais », estime Layla Yakoub, dont le parti organise également des « apéros informels » pour mettre des mots sur les causes du sexisme.

L’UDI, qui ne dispose pas de commission pour le droit des femmes, donne également la parole aux femmes, au sein de ses clubs féministes Femmes au centre et le Club des 52. « Les femmes politiques et les collaboratrices peuvent s’y exprimer librement », rapporte la vice-présidente de l’UDI Chantal Jouanno, contactée par Le Figaro.

« Dire aux femmes de saisir la justice »

« Mettre les mots », Valérie Debord, porte-parole des Républicains estime, elle, que « les femmes politiques ont les ressources intellectuelles nécessaires pour le faire. » Le parti Les Républicains ne dispose d’ailleurs pas d’instance consacrée aux droits des femmes. Valérie Debord précise toutefois que le bureau de l’Assemblée, qui exerce une compétence générale sur l’organisation et le fonctionnement interne, est habilité à répondre à d’éventuelles accusations. A l’entendre, celles-ci seraient toutefois inexistantes au sein de son parti :

« Il y a du sexisme en politique, mais pas plus qu’ailleurs. (…) Dans mon parti, ce genre de chose n’existe pas, si un homme dérape, on lui dit, et ça s’arrête. (…) Il faut encourager à libérer la parole. Mais surtout, il faut dire aux femmes de saisir la justice, notre armement pénal est très largement suffisant pour lutter contre ça. (…) Il faut arrêter d’avoir des paroles et passer aux actes. »

Certaines femmes sont justement passées aux actes pour dénoncer les comportements d’agresseurs de certains élus de droite. Pour ne citer qu’eux : Eric Raoult s’est mis en retrait de la vie politique en 2014 après avoir été visé par une plainte pour harcèlement sexuel et moral d’une ancienne collaboratrice qui affirmait avoir reçu des milliers de textos de sa part. Toujours maire de Draveil (Essonne) sous l’étiquette Les Républicains, George Tron, lui, doit être jugé devant les assises de Seine-Saint-Denis à Bobigny pour viols et agressions sexuelles.

Mais, au sein des Républicains, tous ne sont pas sur la même ligne que la porte-parole. Nathalie Kosciusko-Morizet estime, elle, que « l’affaire Baupin n’est pas un problème lié qu’aux Verts », assure un de ses proches, contacté par Le Monde. L’ancienne numéro deux du parti, qui regrette l’absence d’instance et de système d’alerte chez Les Républicains, « réfléchit depuis plusieurs mois à des propositions pour être proactifs sur ce genre de questions ».

Comme chez Les Républicains, le Front national (FN) ne dispose pas de structure consacrée aux droits des femmes, mais affirme que le parti n’est pas particulièrement touché par les problèmes de sexisme. « Le FN est dirigé par une femme, nous avons la plus jeune députée de France qui est une femme, nous ne sommes pas un parti macho », estime l’avocat Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front national. Il précise qu’en cas de harcèlement ou d’agression les fédérations départementales sont chargées de remonter les faits aux secrétaires nationaux. « Cela peut donner lieu à des procédures disciplinaires et, pourquoi pas, des exclusions. Pour le reste, il y a la loi française », insiste Wallerand de Saint-Just.

A gauche comme à droite, tous invoquent l’importance de saisir la justice. Force est de constater qu’au vu des mesures internes mises en place, et de leur très relative efficacité, la justice semble être aujourd’hui encore l’ultime garde-fou pour éloigner les politiques inconvenants. Encore faut-il que les femmes osent faire la démarche d’aller porter plainte. La politique n’échappe pas aux statistiques : en France, seules 10 % des femmes victimes d’agressions sexuelles dénoncent les faits en justice.