François Hollande, entouré de chefs d’Etat africains, le 10 novembre 2015, présents à l’Elysée pour une réunion préparatoire à la COP21. Derrière, l’ancien ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo,  président de la fondation Energies pour l’Afrique. | PHILIPPE WOJAZER/AFP

Jean-Louis Borloo n’est pas homme à raccrocher facilement les gants. Cinq mois après la COP21 qui a eu lieu en décembre 2015 au Bourget, l’ancien ministre de l’écologie de Nicolas Sarkozy continue d’arpenter les palais présidentiels et tout ce que l’agenda international compte de rendez-vous « à haut niveau » pour défendre la création d’une agence panafricaine pour l’électrification de l’Afrique. La cause est noble et son avocat, convaincant.

Vendredi 22 avril, à New York, aux côtés de Laurent Fabius et de Nicolas Hulot, Jean-Louis Borloo était dans la délégation officielle de François Hollande pour assister à la signature de l’accord de Paris sur le climat. Mais de l’aveu même de l’intéressé, sa présence au siège des Nations unies valait « surtout pour le rendez-vous organisé avec le chef de l’Etat et quelques présidents africains pour parler de l’agence ».

Depuis un an, le talent et l’énergie déployés par Jean-Louis Borloo pour donner de la visibilité à la cause des 650 millions d’Africains toujours privés d’électricité, font la quasi-unanimité. Son obstination à vouloir créer une nouvelle institution internationale – dont le fonctionnement nécessitera le recrutement de plusieurs centaines de fonctionnaires – commence cependant à faire grincer des dents. D’autant qu’elle n’est pas jusqu’à présent l’option retenue par l’Union africaine (UA). Ni celle soutenue, au final, lors de la COP21.

Initiative africaine

C’est l’Initiative africaine sur les énergies renouvelables (AREI) qui a été plébiscitée lors de la conférence mondiale sur le climat, où plusieurs pays, dont la France, ont promis 10 milliards de dollars (8,8 milliards d’euros) pour installer 10 gigawatts (GW) de capacités électriques supplémentaires sur le continent d’ici à 2020. Il ne s’agit là que d’une première étape. Le projet, mûri au sein des institutions panafricaines et approuvé par le comité des chefs d’Etat africains sur le changement climatique, prévoit de porter à 300 GW d’ici 2030 la puissance des installations éoliennes, solaires, hydrauliques… Soit deux fois plus que ce dont dispose aujourd’hui l’Afrique, toutes énergies confondues.

Ses fondations ont commencé à être posées. Youba Sokona, vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat GIEC) a été désigné pour piloter la petite structure qui, au cours des prochains mois, devra identifier les projets qui permettront d’atteindre les 10 GW d’ici cinq ans. A Abidjan, la Banque africaine de développement (BAD) hébergera l’équipe d’une quinzaine de personnes et le fonds, alimenté par les bailleurs. La Banque mondiale, la France et l’Allemagne ont mis leurs experts autour de la table et mutualisé des listes de projets sur lesquels un travail d’évaluation a été engagé.

« En fin de compte, il continue à nous traiter comme des nègres qui ne peuvent pas faire les choses par eux-mêmes », un diplomate

Le scientifique malien a accepté la mission avec humilité. Il sait qu’il va devoir naviguer entre les attentes de 54 Etats et les exigences des donateurs. « C’est un moment important pour le continent. Nous avons le choix entre un développement classique assis sur les énergies fossiles ou montrer au reste du monde que nous nous engageons sur une trajectoire de décarbonisation, assure-t-il. 10 GW peut sembler dérisoire au regard de nos besoins, mais l’objectif est très ambitieux si on le compare au rythme actuel d’électrification. »

La présidente de la COP21, Ségolène Royal, a fait de la réussite de cette initiative l’une de ses priorités. Quitte à froisser les Africains en annonçant, le 28 avril, dans un entretien au Monde Afrique, qu’elle présenterait sa liste de projets lors de l’assemblée annuelle du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), fin mai, à Nairobi. « Est-ce que Ségolène Royal pense que nous ne sommes pas capables de faire le travail nous-mêmes ? », réagit le représentant d’un pays d’Afrique australe, furieux de cette faculté des Français « à d’un côté, saluer un processus africain et, de l’autre, à continuer de vouloir faire à leur place ».

Pas besoin d’un nouveau « machin »

La croisade de Jean-Louis Borloo suscite les mêmes réticences. « Nous partageons le même objectif, mais il trouve que nous n’allons pas assez vite, que nous ne voyons pas assez grand. Nous, nous pensons au contraire que, pour la première fois, des institutions africaines travaillent ensemble et que nous n’avons pas besoin de créer un nouveau machin pour faire progresser l’accès à l’électricité », confie, sous couvert d’anonymat, l’une des chevilles ouvrières de l’Initiative africaine. D’autres se montrent encore plus virulents : « En fin de compte, il continue à nous traiter comme des nègres qui ne peuvent pas faire les choses par eux-mêmes. »

Critiquer à voix haute celui qui a son bureau à deux pas de l’Elysée et arrive parfois dans les capitales africaines dans un avion de la République française est jugé risqué. « Quand, accompagné de l’ambassadeur de France, il est reçu par mon président, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il parle au nom de la France », laisse tomber un haut fonctionnaire, également engagé dans cette longue conquête de l’accès à l’énergie en Afrique.

L’entourage du chef de l’Etat se montre tout à fait clair. Le plaidoyer conduit en 2015 par Jean-Louis Borloo a reçu le soutien de l’Elysée et sa parole est toujours bénéfique s’il s’agit de soutenir les énergies renouvelables en Afrique. Mais il n’est chargé d’aucune mission officielle et la France investira comme promis 400 millions d’euros en 2016 dans l’Initiative africaine pour les énergies renouvelables. « Cette initiative suscite espoir et mobilisation. Elle peut devenir un véritable laboratoire collectif pour les pays qui s’engagent dans ces énergies nouvelles », explique un conseiller.

Colère de l’Egypte

Si Jean-Louis Borloo sait se prévaloir de la bienveillance de François Hollande, il met surtout en avant le soutien de plusieurs chefs d’Etat africains pour poursuivre ce qu’il considère comme sa mission. A commencer par le Guinéen Alpha Condé.

Depuis janvier, le « vieux sage » d’Afrique de l’Ouest bénéficie du titre de « coordinateur des engagements de l’Afrique dans les négociations mondiales sur le changement climatique ». Cette désignation par l’Union africaine (UA) semble cependant avoir été actée dans des conditions troublantes. Assez en tout cas pour que l’Egypte, qui préside le comité des chefs d’Etat africains sur le changement climatique, se soit sentie en droit d’exprimer officiellement des réserves. « La nomination d’Alpha Condé n’a pas été débattue lors de l’assemblée de l’UA. Nous ne savons pas d’où elle sort », explique-t-on dans l’entourage du ministre de l’environnement, Khalid Fahmi, en évoquant un paragraphe découvert après coup dans les décisions publiées au lendemain du sommet. L’UA s’est engagée à réexaminer les minutes de la séance litigieuse.

En attendant, c’est fort de ce nouveau costume que le leader guinéen a remis aux chefs d’Etat présents à New York, le 22 avril, un projet d’« accord en vue de la création d’une agence pour l’électrification de l’Afrique ». Le prochain acte se jouera à Kigali, en juillet, lors de la conférence de l’UA, où le texte pourrait être proposé à la discussion des 54 pays membres.

A Paris, au siège de la fondation Energies pour l’Afrique, Smaila Camara, proche collaborateur de Jean-Louis Borloo, assure que les deux initiatives ne se font pas concurrence. L’ancien ministre, lui, ne souhaite pas commenter.