Une rue du Caire en mai 2015. | © Reuters Photographer / Reuter / REUTERS

Conduire ses compatriotes à leur lieu de travail ou vers le dernier café branché de Zamalek, un quartier huppé du Caire, n’a jamais été le rêve de Hossam. Lorsqu’il a foulé le sol égyptien un mois auparavant, après un exil de quatre ans dans le Golfe, ce Cairote de trente-trois ans n’ignorait guère qu’aucune opportunité professionnelle ne s’offrirait à lui. Comme un peu plus de 6 000 Egyptiens disposant d’une voiture récente et confortable, il a décidé de conduire tous les jours pour Uber.

Au coin de la rue

Au Caire comme à Alexandrie, même les plus réfractaires à l’ubérisation se sont laissés séduire. Quelques pressions sur l’écran tactile du smartphone, entre cinq à dix minutes d’attente, un appel pour de plus amples précisions : et un chauffeur Uber vous attend en bas de l’immeuble ou au coin de la rue.

Au Caire, commander une voiture Uber ou Careem, un équivalent de la société américaine venu des Emirats Arabes Unis, n’a plus rien d’atypique pour une classe moyenne désireuse de confort.

Après avoir inscrit la destination sur Google Maps, Hossam démarre en serrant sa ceinture. « Je suis parti trouver du travail au Koweït et en Arabie Saoudite, raconte-t-il le regard rivé sur la route du désert d’Alexandrie. Je suis web designer et c’est ma passion. J’ai fait des études en Egypte pour faire ce métier. J’ai commencé ma carrière ici mais il n’y avait rien de concluant. »

Les eldorados du Golfe l’ont rendu amer : « Je suis revenu parce que je ne supportais plus d’être sous-payé par rapport à mes collègues saoudiens, koweïtiens ou occidentaux. Et la vie coûte cher dans ces pays. »

« Je ne vois que le vide en Egypte »

Là-bas, Hossam gagnait un salaire hebdomadaire équivalant à 5 000 Livres égyptiennes (environ 500 euros). Avec Uber, il atteint entre 500 et 700 Livres égyptiennes (environ 50 à 70 euros) par semaine, 80% du montant de la course revenant au chauffeur. « Je ne me plains pas, se console-t-il. Grâce à Dieu, j’ai trouvé un emploi dans ce pays où il n’y a plus rien. En termes de travail, je ne vois que le vide en Egypte. Mais nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes et à ceux qui nous gouvernent. C’est une honte. »

La voiture s’immobilise progressivement. Encore un embouteillage. Un taxi stationne au-loin, sans passager à l’intérieur. Le chauffeur âgé a le regard fatigué et le teint usé par le soleil, la pollution et la cigarette. Issus des classes populaires, les conducteurs de taxis trouvent généralement dans leur métier une aubaine pour améliorer leurs conditions.

Les chauffeurs de Uber ou Careem, évoluant davantage au sein des classes moyennes éduquées, répondent à certains critères qui ne sont pas à la portée de tous : disposer d’une voiture moderne, manier habilement les nouvelles technologies, savoir communiquer en anglais.

Toutes ces compétences dont le marché du travail égyptien ne sait plus que faire bénéficient à Uber ou Careem. Comme Hossam, 40% des chauffeurs Uber n’occupent pas d’autres emplois et dépendent ainsi de cette seule source de revenus. C’est le cas de Tarek, spécialiste recherche et développement dans l’industrie pétrolière, ou encore Ahmed, ancien ouvrier spécialisé dans la fabrication du plastique, tous deux ayant perdu leur emploi « à cause de la crise économique ».

En Egypte, Uber et Careem répondent aux attentes de nouveaux consommateurs urbains lassés par les excès de chauffeurs de taxis (parfois) rustres et malhonnêtes. Les deux sociétés offrent également un succédané d’emploi à ceux qui ont perdu ou n’ont jamais trouvé leur métier véritable. Tarek et Ahmed partage le même sentiment de frustration que Hossam : « Bien sûr, si je suis là, c’est qu’il n’y a aucune autre opportunité de travail convenable en Egypte. Si c’était le cas, je sauterais évidemment sur l’occasion... »

Dialogue de fond

Les protestations récurrentes des chauffeurs de taxis depuis le début de l’année, exigeant du gouvernement des mesures fortes contre leurs nouveaux concurrents, ont surtout permis à ces derniers d’entreprendre un dialogue de fond avec les autorités. Transport, Investissement, Solidarité sociale ou encore Justice, une dizaine de ministères est entrée dans une démarche d’intense coopération avec Uber et Careem.

Principale ville du secteur Afrique - Moyen-Orient couverte par Uber, Le Caire rend la firme californienne particulièrement optimiste. Sur les 250 millions de dollars qu’elle s’apprête à investir dans cette région, une part considérable sera allouée à l’Egypte. Et depuis janvier, Uber enregistre chaque mois quelque 2 000 nouveaux chauffeurs sur sa plateforme.