Manifestation des supporteurs du président Nicolas Maduro, ici représenté en prise avec le président de l'Assemblée nationale, son opposant Ramos Allup (MUD), lors du défilé du 1er-Mai à Caracas. | MARCO BELLO / REUTERS

Etals dévalisés, fonctionnaires priés de ne travailler que deux jours par semaine, coupures d’électricité quotidiennes… les signes de détresse se multiplient au Venezuela depuis plusieurs semaines. Le pays, dont le sous-sol est richement doté en hydrocarbures, subit de plein fouet la baisse des cours du brut et s’embourbe dans une crise à la fois économique, politique et institutionnelle. Il paie, expliquent les observateurs, des années de monoproduction. L’effondrement des revenus pétroliers, en ruinant les comptes publics, affaiblit directement le gouvernement, incapable de répondre à la grogne de son électorat populaire.

La crise économique se double d’une crise politique profonde. Pour la première fois depuis 1999 – date de l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez, président emblématique mort en 2013 – le parti « chaviste » au pouvoir a perdu, en décembre, la majorité au Parlement. Forte de cette nouvelle légitimité électorale, l’opposition s’est mis en tête d’obtenir la destitution du président, Nicolas Maduro.

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Le paradoxe est à peine croyable : l’économie vénézuélienne est tellement spécialisée dans l’extraction et l’exportation de pétrole brut, que le pays pourrait se retrouver en pénurie… d’essence. Une partie du carburant utilisé au Venezuela est transformé à l’étranger, faute de capacité de raffinage suffisante sur le territoire national. Caracas est désormais incapable d’importer, comme il le faisait massivement jusqu’alors.

En février, le président Nicolas Maduro a été obligé d’augmenter jusqu’à 6 000 % le prix à la pompe – qui reste le moins cher du monde.

Cet exemple illustre bien l’extrême dépendance du pays à l’or noir et explique en grande partie la situation économique dramatique qu’il connaît : inflation record, pénurie, pillages… « Aucune rente ne produit du développement, analyse Jean Rivelois, chercheur en sociologie politique à l’Institut de recherche pour le développement. Elles rendent si riche que le pays ne produit plus rien car il devient plus intéressant pour lui d’importer. »

Venezuela : au cœur de la pénurie alimentaire

Olivier Compagnon, directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, abonde :

« Le Venezuela a vécu avec la croyance que le pétrole permettrait de surmonter toutes les crises. Il paye aujourd’hui un siècle de monoexportation. C’est le grand échec des années Chavez, mais aussi des gouvernements précédents, leur incapacité à s’être lancés dans une politique de diversification économique quand ils en avaient les moyens politiques et économiques. »
Reportage de notre envoyée spéciale à Caracas : Les Vénézuéliens s’enfoncent un peu plus dans la crise

A cela s’ajoutent des investissements « peu prévoyants » en termes d’infrastructures, par exemple dans le domaine de l’électricité, dont la production repose sur une poignée de barrages. Malheureux concours de circonstance, ils sont actuellement incapables de répondre à la demande nationale d’énergie en raison d’une importante sécheresse, liée au phénomène climatique El Niño.

L’électricité est actuellement coupée quatre heures par jour dans une grande partie du pays. Certains fonctionnaires ont été invités à ne travailler que deux jours par semaine et l’heure officielle a même été avancée de 30 minutes dans l’espoir de réduire la consommation d’énergie.

Ces mesures improbables sont « un pansement que l’on met sur un cancer », regrette Jean Rivelois. Celui du « système de la manne pétrolière ». Celle-ci est aussi un levier politique majeur et le gouvernement est en passe de perdre le soutien de son électorat principal, les classes populaires, à mesure que le quotidien devient plus pénible.

  • Crise politique : incapable de redistribuer l’argent du pétrole, le pouvoir perd son assise populaire

« Le parti chaviste se décompose à cause des files d’attente », résume Jean Rivelois. Celle des coopératives mises en place par les socialistes pour permettre aux populations les plus défavorisées de trouver des produits de première nécessité à bas prix. Le climat social se tend depuis plusieurs semaines. Des émeutes, accompagnées de pillages, ont éclaté fin avril à ­Maracaibo, la deuxième ville du pays.

Des opposants au président vénézuélien, Nicolas Maduro, dressent des barricades enflammées à Maracaïbo, le 28 avril. | JUAN BARRETO / AFP

Si les bénéfices pétroliers nourrissent une importante corruption – le Venezuela est 158e sur 168 au classement de l’ONG Transparency international des pays les plus sujets à la corruption« la rente pétrolière, accaparée par le parti au pouvoir, est en partie redistribuée, explique Jean Rivelois. Elle permet au gouvernement d’entretenir sa clientèle électorale, à savoir les classes les plus défavorisées. Mais quand la rente se tarit, les gouvernements ne sont plus légitimes et leur base électorale ne les suit plus. »

Cette perte de légitimité s’est exprimée dans la rue encore récemment, mais surtout lors des élections législatives de décembre où la coalition d’opposition (MUD, la Table de l’unité démocratique), a obtenu la majorité des sièges pour la première fois depuis 1999. Cette élection marque un basculement politique, note Olivier Compagnon :

« La scène politique est ultra-polarisée depuis la montée au pouvoir de Hugo Chavez [en 1999] mais on atteint une nouvelle proportion depuis décembre. Jusque-là, les chavistes pouvaient toujours se prévaloir de l’appui populaire. Or aujourd’hui, même les bastions chavistes basculent sous l’effet de la pénibilité du quotidien. »

Des employés de l'Assemblée nationale vénézuélienne sortent un portrait de l'ancien président Hugo Chavez du bâtiment, le 6 janvier, après l'arrivée de l'opposition à la tête du Parlement. | RONALDO SCHEMIDT / AFP

La question est de savoir si les émeutes liées aux privations vont se multiplier, « d’autant plus qu’il n’y a pas d’amélioration économique en vue », rappelle Olivier Compagnon. Après une inflation de 180,9 % au Venezuela en 2015, la plus élevée du monde, le FMI table sur 700 % cette année.

Depuis les législatives de décembre, un bras de fer institutionnel s’est engagé. Les deux parties tentent de diminuer les pouvoirs de leur adversaire, entraînant le pays vers la paralysie.

  • Crise institutionnelle : cible d’une opposition déterminée à les faire tomber, les chavistes activent leur puissance de blocage

L’alliance arrivée à la tête du Parlement en décembre n’a jamais caché son intention d’obtenir la destitution du président Nicolas Maduro. Elle entend écourter son mandat, qui court jusqu’en 2019, par deux biais. D’une part en modifiant la Constitution pour réduire de 6 à 4 ans les mandatures présidentielles. Et d’autre part, en convoquant un référendum révocatoire contre le président.

Cette procédure complexe pourrait mettre plusieurs mois à aboutir. Les autorités électorales ont commencé, mercredi 4 mai, à vérifier la validité des deux millions de signatures présentées par l’opposition. Mais dans ses rangs, beaucoup soupçonnent le gouvernement de vouloir retarder l’opération, notamment en réduisant la voilure de l’administration sous prétexte de réaliser des économies d’électricité. Depuis décembre, le pouvoir s’est déjà illustré par plusieurs tentatives de blocage institutionnel. Le Tribunal suprême de justice, réputé proche du gouvernement, a notamment réduit en avril les pouvoirs du Parlement.

« Dehors », peut-on lire sur ce panneau lors d'une manifestation contre le gouvernement, le 19 avril à Caracas. | Ariana Cubillos / AP

Nouvelle preuve de la défiance populaire envers le président Maduro, les habitants se sont déplacés en masse aux différents points de collecte de signatures installés dans le pays pour asseoir la demande d’un référendum révocatoire. Si les signatures sont validées, « nous irons vers un référendum, point », a assuré à la télévision le président avant de mettre en garde : « Signature falsifiée, recours assuré. »

Selon un récent sondage, 68 % des personnes interrogées souhaitent le départ immédiat du président Maduro. « Il est plausible que la procédure aboutisse, estime Jean Rivelois. Mais ça ne résoudra pas le problème : l’alternance ne constitue pas forcément une alternative politique. Il n’y a pas actuellement de parti qui propose un autre système. »