Il risque quinze ans de prison, au bas mot, pour… des commentaires sur Facebook. Mercredi 4 mai, Yonatan Tesfaye Regassa, ancien porte-parole et membre du parti d’opposition Blue Party, a été formellement accusé d’incitation à la violence et d’association avec un groupe terroriste par la Haute Cour fédérale d’Addis-Abeba. Il avait été arrêté fin décembre 2015. Dans la liste des chefs d’inculpation, celui-ci : « Incitation à la violence en vue de perturber la stabilité sociale, économique et politique du pays » via onze commentaires sur Facebook du 15 au 17 novembre 2015.

A l’époque, la région oromo, la plus vaste du pays et terre du tiers des 95 millions d’Ethiopiens, s’enflammait. Les étudiants, les lycéens et les paysans oromos manifestaient contre un pouvoir central accusé, pêle-mêle, de corruption, de mauvaise gouvernance, du vol de leurs terrains et de la marginalisation de leur culture. Yonatan Tesfaye Regassa est oromo, mais surtout grande gueule, opposant notoire et actif sur les réseaux sociaux… auxquels n’ont accès qu’une infime partie de la population.

« Son arrestation est politique »

Son compte a été supprimé. D’après le document de la Haute cour de justice, ses commentaires postés affirment qu’« utiliser des objets pour des manifestations pacifiques, bloquer des routes avec des pneus ou bruler du matériel plastique dans les rues (…), ce n’est rien comparé aux vies des gens que le gouvernement détruit ». Ou bien « Cher EPRDF (coalition au pouvoir), le temps est venu pour vous de partir. Si vous vous souciez vraiment des citoyens, quittez vos sièges (au Parlement), laissez-leur vos sièges. Sinon, ils les prendront par la force, même s’il faut verser du sang. »

Sur le terrain, la répression est sévère, certaines manifestations dégénèrent. Les commentaires de Yonatan Tesfaye Regassa et ses liens présumés avec un groupe terroriste tomberaient sous le coup de l’article 4 de la loi, condamnant « la planification, la préparation, la conspiration, l’incitation et la tentative d’acte de terrorisme ».

« Son arrestation est politique. Les chefs d’accusation ne reflètent pas la réalité », a réagi le président du Blue Party, Yilkal Getnet. « Quand quelqu’un devient trop populaire et une voix pour les sans-voix, le pouvoir judiciaire et politique fabrique des accusations et le met en prison. C’est ce qui est arrivé à Yonatan. »

Le militant du Blue Party n’est pas le seul à être visé par la loi antiterrorisme. L’un des opposants historiques au régime au pouvoir depuis 1991, Bekele Gerba, est aussi en prison depuis quatre mois et doit faire face aux mêmes accusations.

539 jours de détention

Derrière ces inculpations, il y a souvent un texte : la loi antiterrorisme, adoptée en 2009. Suffisamment légitime pour se prémunir d’un contexte régional instable, assez vague pour sanctionner le moindre écart. Depuis, la loi a été maintes fois pointée du doigt par les organisations de défense des droits de l’homme. Ce à quoi le gouvernement rétorque que le texte s’inspire de ce qui se fait en Europe ou aux Etats-Unis.

Depuis sa proclamation, les journalistes et les opposants en ont souvent fait les frais. Dernier en date : des blogueurs d’un collectif appelé Zone 9 et trois journalistes. Ils ont finalement été libérés en octobre 2015, au bout de 539 jours de détention et 39 audiences après que les accusations de terrorisme ont été annulées.

Cette semaine, Samantha Power, l’ambassadrice des Etats-Unis auprès des Nations unies, condamnait sur Twitter le recours répété à la loi antiterrorisme par les tribunaux d’Addis-Abeba : « L’usage par l’Ethiopie de la loi antiterrorisme pour poursuivre en justice les journalistes, les membres de partis politiques et les militants réduit au silence les voix indépendantes, clés d’une démocratie. »

Mise en garde

De fait, l’Ethiopie apparaît toujours au bas du classement des pays en matière de liberté d’expression et de la presse. Régulièrement, des organisations de défense des droits de l’homme, toutes basées en Europe ou aux Etats-Unis et pas vraiment en odeur de sainteté à Addis-Abeba, soulignent l’usage abusif de la loi. « Le droit à un procès juste, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, et le droit à la liberté d’association continuent d’être violés par l’application de la loi antiterrorisme », affirmait un rapport des Nations unies en 2014.

Mardi 3 mai, lors de la journée mondiale pour la liberté de la presse, la ministre adjointe de la communication, Frehiwot Ayalew, rappelait que celle-ci est garantie par la Constitution éthiopienne et joue un rôle central dans le renforcement de la démocratie. Avant d’inviter les médias « à ne pas se faire piéger par les intentions cachées de forces destructrices ». La mise en garde s’applique aussi aux opposants politiques.