L’artiste contemporain chinois, Huang Yong Ping, prend possession avec son œuvre intitulée Empires de la nef du Grand Palais jusqu’au 18 juin, à l’occasion de Monumenta. Ce projet donne à voir une image symbolique du monde contemporain. Rencontre à quelques jours de l’inauguration.

Huang Yong Ping dans son atelier d'Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne. | Simone Perolari pour M Le magazine du Monde

Comment surgit l’idée d’une exposition ? Est-ce un moment rapide ou un processus lent ?

Chaque projet a ses propres particularités temporelles. Pour Monumenta, l’idée m’est venue de façon très évidente et rapidement. Dès l’origine, il n’y avait pas de plan B. Je savais précisément que ce serait ça ! J’ai fait peu de changement entre l’idée et la réalisation concrète. Je veux dire qu’en général, l’idée n’est pas distincte de la forme physique de l’œuvre. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’artiste peut d’abord trouver la forme concrète à réaliser et ensuite les raisons, le sens, qui viendront l’enrichir au fur et à mesure. C’est la raison pour laquelle j’ai besoin de connaître l’espace dans lequel l’œuvre se trouvera, en connaître toutes les histoires.

La conception du temps varie en fonction du langage et nous empêche parfois de nous entendre sur ce qu’est le temps.

En chinois, on peut utiliser la même unité de longueur 寸 (pouce) pour évaluer le temps et l’espace. Ensuite, j’ai une façon personnelle de voir les deux caractères qui disent le temps. Ainsi 时间 dit le temps. Toutefois, pour moi, le premier caractère 时 (temps) est composé de la clé du soleil 日 à gauche et l’unité de longueur 寸 à droite. D’après moi, ce caractère signifierait plus précisément le jour, puisque le soleil 日 se trouve à l’extérieur. Tandis que le deuxième caractère 间 (espace, intervalle, centre) signifierait plutôt la nuit, puisque la clé du soleil est à l’intérieur de la clé de la porte 门 donc cachée et invisible. C’est ma vision de ces deux caractères. Je crois que si l’on demande à un sinologue ou un linguiste, la réponse sera certainement très différente.

Né en 1954 en Chine, Huang Yong Ping vit depuis 1989 en France. | Simone Perolari pour M Le magazine du Monde

Pour « Empires », il est question d’Histoire. Comment, en tant qu’artiste, voyez-vous le passé, le présent, le futur et de quelle manière les utilisez-vous ?

En général, je mélange le passé, le présent et le futur volontairement. Je peux aussi les laisser s’entremêler de façon involontaire. Par exemple, le mot « empire », beaucoup moins utilisé aujourd’hui, est un terme du passé. Ensuite, j’ai utilisé le bicorne de Napoléon qui rappelle directement les XVIIIe et XIXe siècles. Je tente ainsi de poser la question du rapport qu’il existe entre cette époque et aujourd’hui. Pourtant je laisse un flou entre ces différents temps. Car je crois qu’il vaut mieux éviter de tomber dans les études précises des détails de l’Histoire de ces époques. Faire le mélange entre les temps est une façon d’éviter d’éclaircir tous les détails.

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Les hommes pensent vivre au présent. Et pourtant, si l’on prend l’exemple des vêtements que l’on porte, ils existent depuis des milliers d’années. On ne peut pas dire pour autant que l’on a un pied dans le passé mais que l’on vit dans le présent. Je crois que nous sommes entièrement entre le passé et le présent. Ainsi, on est aussi entre le présent et le futur. Si l’on ne fait pas de différence nette et catégorique entre le passé, le présent et le futur, on est tout à fait capable de prévoir l’avenir.

Quelle est la bonne distance à l’égard de l’art contemporain ? Le spectateur non-averti n’est-il pas, tout simplement, dans un temps différent de celui de l’artiste ou du spécialiste ?

Souvent, celui qui n’est pas dans le domaine de l’art contemporain commence par dire « c’est n’importe quoi » [Huang Yong Ping le dit en français lors de l’entretien] quand il se trouve devant une œuvre. Il signifie que ça ne vaut pas grand-chose à ses yeux. Je crois que cette distance est normale. Les gens forment leur propre vision car personne n’a la même conception du temps.

Comment avez-vous vécu les différents moments de votre carrière ? Débuts, premiers travaux, première exposition, consécration… ?

Certains disent que le meilleur se passe au début. La période des études serait la plus précieuse car la créativité est au maximum. On perdrait cette créativité en vieillissant. Toutefois, c’est le temps qui permet de former son propre langage. Mais est-ce que notre langage égale la créativité ?

« Empires » parle de la succession des puissances, du déclin, du remplacement. Mais n’est-ce pas ridicule à l’échelle du temps cosmique ?

Le temps est relatif et l’espace et les dimensions aussi. Cette œuvre prend du sens quand elle est dans ce lieu. Mais mon travail est aussi d’en dépasser les contraintes et les limites. On a l’impression que l’artiste véhicule plein de messages à travers son œuvre. Mais l’histoire de l’art doit faire naître des doutes. Au fond, l’artiste ne donne aucun message. Je veux dire qu’il ne faut pas le réduire à une blague, à un piège, à une rhétorique ou à une lecture simpliste. Mais si on creuse trop le sens des messages, on risque de tomber sur le rien.

Traduction simultanée de Sisi Yang.

Jusuqu’au 18 juin 2016 dans le Nef du Grand Palais www.grandpalais.fr 3, avenue du Général Eisenhower 75008 Paris Ouverture de 10 heures à 19 heures les lundis, mercredis et dimanches. Nocturne de 10 heures à 22 heures tous les jeudis, vendredis et samedis.