Pour rendre hommage à Jean Genet (1910-1986), les commissaires de l’exposition qui se tient au Mucem, Emmanuelle Lambert et Albert Dichy, ont choisi trois oeuvres de l’écrivain. Le journal du voleur, paru en 1949, dit l’enfance et la jeunesse de Genet, abandonné par sa mère à l’Assistance publique, les hopitaux et les fugues, l’armée et la désertion, les vols et les prisons. Ces années sont évoquées par quantité de documents médicaux ou judiciaires, dont certains n’ont été extraits des archives administratives qu’après la mort de Genet, bien qu’il ait fait de nombreuses tentatives pour en savoir plus sur sa naissance.

Deuxième chapitre : la pièce Les paravents, publiée en 1961, créée la même année à Berlin. Reprise à l’Odéon en 1966, elle suscite la fureur des anciens de l’Algérie française et des agités du mouvement Occident. Jean-Louis Barrault résiste. André Malraux s’oppose à un amendement déposé à l’Assemblée nationale en vue de réduire les subventions accordées au théâtre de l’Odéon, où l’on aurait attenté à l’honneur de l’armée française et de la patrie. Des entretiens font l’essentiel de cette partie, dont un entre Michel Droit et Barrault, grand moment de télévision façon ORTF du temps où Alain Peyrefitte était ministre de l’information.

Un hommage qui s’autorise des silences

La troisième section, à partir du Captif amoureux, paru en 1986 après la mort de Genet, traite de ses engagements politiques, Blacks Panthers et Palestiniens. Le principal est à écouter, là encore : un entretien avec Angela Davis, un autre avec Leila Shahid, qui parlent avec sobriété de leur ami. En 1970, Genet donne des conférences dans les universités américaines pour y défendre l’action des militants afro-américains et, la même année, se range du côté de l’OLP. Suivent des séjours au Proche-Orient. En septembre 1982, il est à Beyrouth. Les 18 et 19 septembre, des miliciens chrétiens commettent les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila. Le 19, Genet est l’un des premiers à entrer dans Chatila, avec Leila Shahid. Quatre heures à Chatila paraît en jenvier 1983, premier texte de Genet publié après une interruption de près de deux décennies.

Entre ces trois parties, une allée centrale largement ouverte fait office d’axe: elle est dédiée aux portraits de Genet par Alberto Giacometti, les deux hommes étant liés par une amitié dont témoigne L’atelier d’Alberto Giacometti, publié en 1958, en un temps où le sculpteur était loin de bénéficier de la reconnaissance universelle qui l’entoure désormais. Dans un angle est diffusé un remarquable entretien de Genet avec Antoine Bourseiller, enregistré peu avant sa mort, récit autobiographique entre autodérision et provocation.

Servi par sa scénographie légère, l’hommage est réussi. Mais c’est trop un hommage, justement, et il s’autorise des silences. L’auteur du Journal d’un voleur est aussi celui de Pompes funèbres, édité anonymement par Gallimard en 1947, où soldats nazis et miliciens français sont décrits comme d’émouvants jeunes gens. On ne relit pas non plus aujourd’hui sans malaise « Violence et brutalité », texte publié par Le Monde le 2 septembre 1977, qui présente les terroristes de la Fraction Armée Rouge, la  « bande à Baader », comme des défenseurs des peuples opprimés, capables de « sacrifices surhumains ».

Antisionisme et antisémitisme supposés

Si l’on ne peut que l’approuver quand il dénonce « l’usage du secret empêchant une connaissance d’intérêt général, l’inutilité de la gifle dans les commissariats, le tutoiement policier envers qui a la peau brune », il est plus difficile de le suivre quand il affirme que « ce que l’URSS a fait, ce qu’elle aurait fait de négatif – sans être escamoté – cède à ce qu’elle a fait, qu’elle fait de positif ». Escamoter, pour rependre son verbe, ce texte et les réactions qu’il déclencha n’est pas, du point de vue de l’histoire, défendable. Il ne l’est pas plus d’oublier que, dans Le captif amoureux, la défense de la cause palestinienne va jusqu’à des phrases telles que : « La lutte métaphysique, impossible de l’ignorer, se poursuit entre les valeurs judaïques et (…) les révoltes vivantes. » Les « valeurs judaïques » ? Que faut-il comprendre par là ? Des débats ont eu lieu sur l’antisionisme et l’antisémitisme supposés de Genet. Il a été souvent rappelé que, dans son Saint Genet comédien et martyr, Jean-Paul Sartre écrit, en 1952 : « Genet est un antisémite. » Ni l’exposition, ni son catalogue ne mentionnent ces faits. Ils préfèrent l’hagiographie de Jean Genet, saint et martyr. Sartre avait écrit « comédien », et non saint.

« Jean Genet, l’échappée belle », MUCEM, 1, Esplanade du J4, 13002, Marseille. Tel.: 04 84 35 13 13. Du mercrediau lundi de 11h à 19h, le vendredi jusqu’à 22h. Entrée: De 5 à 9,50€. Jusqu’au 18 juillet. Sur le web : www.mucem.org