"Nous proposons de réfléchir et de créer les conditions d’un point d’équilibre, avec des représentants de la société civile, des usagers, des citoyens aux fins de resocialiser cette vieillesse" (Photo: Ehpad à Limoges, en 2015).. | PASCAL LACHENAUD / AFP

Par José Polard, Michel Bass, Michel Billé, Odile David, Alain Jean (Ehpad de côté)

Silver Night aux Folies Bergère en mars, Silver Show au théâtre Mogador en avril : la « silver économie » [« or gris »] est un secteur industriel qui se porte vraiment bien. Et quelle satisfaction de nous en informer ! Mais quand une société se donne à voir ainsi en spectacle, s’agit-il encore d’informer ou est-ce une manière sophistiquée de communiquer ?

Que fête-t-elle ainsi, la silver économie ? Sa réussite d’abord. On connaissait la saga des grands groupes d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les taux boursiers en flèche, mais ici c’est différent. Avec une stratégie de relations publiques bien rôdée, à l’instar de bien d’autres branches industrielles, du BTP aux métiers du tourisme, elle met en scène l’idéologie du bien vieillir, laquelle par bien des aspects pourrait bien faire le lit de la philosophie du transhumanisme.

En reconnaissant et en remettant ses « trophées de l’innovation », du plus technologique au plus festif, sans oublier bien sûr, du plus solidaire au plus participatif, ce secteur économique se réapproprie habilement ainsi les initiatives du terrain, tout comme les inventions technologiques, les avancées médicales.

À coup de pubs et de marketing

Dans ce secteur industriel, les seniors et leurs proches sont étudiés, pensés et peu à peu, dirigés à coup de pubs et de marketing, vers une « filière » ou une autre, sans oublier les « passerelles », pour le bien du « parcours de la personne âgée ». Cela passe du « maintien au domicile » à l’Ehpad, en passant par les résidences services seniors (RSS) avec, à chaque fois, des réponses immobilières appropriées accompagnées par un business plan spécifique.

L’« Or gris », c’est avant tout cette puissance de communication et de relations publiques. On comprend mieux ce rouleau compresseur médiatique qui envahit tout. Au fond, le message subliminal est assez simple : tant que vous consommez, vous gardez une part de jeunesse… Avec un peu de malice, nous le dirions autrement : dépenser et ne pas penser. Cette silver économie porte de mieux en mieux son nom : c’est moins les cheveux qui sont argentés que les intérêts…

La silver économie fête aussi son omniprésence et son influence dans tous les débats concernant le vieillissement, promouvant sa philosophie et ses orientations, avec l’efficacité d’un lobbying de haut niveau, s’imposant comme un interlocuteur incontournable et créant les conditions d’une proximité idéologique contagieuse – comme le montrent les travaux de George Stigler (1911-1991) [Prix Nobel d’économie en 1982 dont les travaux ont montré que l’Etat-providence sous l’emprise des groupes de pression, n’est plus garant de l’intérêt général] – avec certaines sphères politiques et la haute administration, et donc génératrice d’intérêts communs.

Connivence industrielle et politique

Qui maîtrise les mots oriente les décisions, économiques et politiques. Certains experts, certains intellectuels n’hésitent pas à mettre leurs travaux, leurs réflexions au service de cette économie du « marché des séniors », la cautionnant ainsi. Sciences humaines rebelles ou supplétives, il faut choisir.

Cette indécence de la silver économie, traduction d’une sorte de désinhibition quant aux buts et aux gains, est le fruit d’un profond déséquilibre entre d’un côté une sorte de connivence entre la puissance industrielle qui oriente, l’action politique dévaluée, la haute administration procédurale et normative et de l’autre… aucun contre-pouvoir. Car enfin confier ainsi au marché cette séquence de vie du vieillissement et du grand âge, est-ce bien raisonnable ?

C’est pourquoi nous proposons de réfléchir et de créer les conditions d’un point d’équilibre, avec des représentants de la société civile, des usagers, des citoyens aux fins de resocialiser cette vieillesse. En repensant l’Ehpad (est-ce que ça s’appellerait encore Ehpad ?), en soutenant les modalités d’évaluation beaucoup plus participatives, en impliquant les équipes et non e les passivant, en stimulant toutes alternatives, en se dégageant de cette pensée unique qui nous est martelée. Le profit et l’éthique font rarement bon ménage.