Dans l’atelier du Britannique Glenn Brown, qui expose à partir du 14 mai à la Fondation Van Gogh, à Arles, une gravure du maniériste hollandais Hendrik Goltzius capte d’emblée le regard, malgré son tout petit format. Plus loin, des cartes postales d’œuvres de Géricault et Van Gogh agissent en piqûre de rappel. Rappel d’une histoire de l’art dont certains artistes ont tenté de faire table rase. Glenn Brown, lui, a la mémoire longue.

« Misogyny », de Glenn Brown, huile sur bois (2006), est une référence directe au « Torse de Vénus » (1887) de Vincent van Gogh. | Mike Bruce/Douglas B. Andrews Collection

Lorsque, au début des années 1990, le jeune étudiant de l’université Goldsmiths, à Londres, choisit la peinture comme médium, celle-ci est alors décrétée au mieux caduque, au pire morte. « Mais j’avais plus de plaisir à faire ça que des performances idiotes comme mimer un chimpanzé », confie-t-il, pince-sans-rire. Et d’ajouter : « Je viens d’une génération postmoderne qui pense que n’importe quel moment du passé peut être reconsidéré. »

« On a beau être obsédé par la nouveauté, les idées viennent de ce qui a été fait auparavant. » Glenn Brown

Ce que Glenn Brown apprécie dans la peinture, c’est précisément le voyage dans le temps. Aussi ses œuvres convoquent-elles tout à la fois Salvador Dali, Hans Bellmer, Van Gogh ou Edgar Degas. Pour lui, Rembrandt est aussi pertinent aujourd’hui qu’il l’était au XVIIsiècle. « J’ai besoin d’un point de départ, poursuit-il. Je converse avec les artistes dont j’emprunte les images. On a beau être obsédé par la nouveauté, les idées viennent de ce qui a été fait auparavant. » Pour autant, Glenn Brown ne tombe pas dans la copie servile ou académique. Sous son pinceau irrévérencieux, la palette des maîtres anciens s’exacerbe : un visage poudré du XVIIsiècle devient vert anis ou fluo, comme rescapé d’une série de science-fiction ou du film Marie Antoinette de Sofia ­Coppola. « C’est comme si Rembrandt se trouvait dans une boîte de nuit de mauvais goût », sourit Glenn Brown, fier de son effet. Les sources sont tellement malaxées qu’elles en deviennent parfois méconnaissables.

Il faut avoir l’œil pour repérer les coloris de Van Gogh dans les sculptures ou démêler dans un dessin des détails tout droit sortis d’œuvres d’Andrea del Sarto et de Tiepolo.

Picasso n’a cessé de regarder dans le rétroviseur

Glenn Brown retient notamment chez ses grands aînés l’évocation de la peur, de la mort et de la putréfaction. Glenn Brown n’est pas le seul artiste à puiser dans le répertoire de l’histoire de l’art. George Condo, Yan Pei-Ming ou Damien Hirst s’y sont aussi essayés en pastichant Picasso, Goya ou Francis Bacon. L’art fut de tout temps cannibale. Au XIXsiècle, Manet et ses contemporains se sont inspirés du Siècle d’or espagnol, tout particulièrement de Velázquez. Un peintre sur lequel Picasso a également lorgné. L’artiste cubiste a beau avoir bousculé les codes de la représentation, il n’a cessé de regarder dans le rétroviseur. « Un peintre, écrira-t-il, a toujours un père et une mère. Il ne sort pas du néant. »

« The Hokey Cokey », de Glenn Brown, peinture à l’huile et acrylique sur structure sur acier, bronze (2016). | Mike Bruce/Courtesy Gagosian Gallery

L’historien Eric de Chassey, qui a invité Yan Pei-Ming à la Villa Médicis à Rome, ne dit pas autre chose : « La peinture est un médium historiquement chargé, impossible de se débarrasser du passé. » La circulation des images par Internet a d’ailleurs facilité le télescopage temporel. « Depuis dix ans, on constate que la société tout entière a besoin de retrouver son histoire. On n’est plus dans un monde qui croit au progrès, observe l’historienne d’art Catherine Grenier, auteure de La Manipulation des images dans l’art contemporain. (Editions du Regard). La notion d’originalité n’a plus le même sens qu’il y a cent ans. Aujourd’hui, tout est “contemporain”, de l’art pariétal à la peinture du XVIIsiècle. »

Le peintre Yan Pei-Ming réinterprète des tableaux de Velázquez comme ce portrait d’Innocent X. | André Morin/Costa/Leemage. Yan Pei-Ming, ADAGP

L’artiste Agnès Thurnauer, qui n’a jamais caché sa passion pour Edouard Manet, voit d’ailleurs en lui non pas « un peintre d’une autre époque, mais un artiste d’aujourd’hui ». Et de poursuivre : « Si je reprends certains tableaux de maîtres, c’est autant pour le sujet traité que pour la façon dont ils pensent la peinture. C’est une façon de dialoguer avec eux. Il s’agit de connivence. Quand je cite Manet, il n’y a ni critique ni ironie, mais au contraire un grand amour, une sensation de fraternité qui autorise à tenter de “parler avec”. »

Aussi a-t-elle moins le sentiment de marcher dans les pas du peintre que d’épouser sa liberté, sa manière de « tutoyer la matière sans prendre de gants ». La répétition n’est toutefois pas dénuée d’ironie, voire d’iconoclasme. « En citant, on renvoie le modèle de départ à une chose commune, observe Eric de Chassey. C’est à la fois montrer que l’image est importante et s’en débarrasser. C’est une annexion et un aveu de faiblesse. »

Glenn Brown, « Suffer well », Fondation Van Gogh, 35 ter, rue du Docteur-Fanton, Arles (Bouches-du-Rhône). Tél. : 04-90-93-08-08. Jusqu’au 11 septembre www.fondation-vincentvangogh-arles.org
« Yan Pei-Ming Roma », Villa Médicis, Viale Trinità dei Monti, Rome. Tél. : (+39) 06-6761-311. Jusqu’au 19 juin www.villamedici.it/fr