Manifestation, le 27 avril 2016, pour la destitution du président sud-africain Jacob Zuma après le scandale de détournements de fonds dont la Cour constitutionnelle l’a reconnu coupable fin mars. | ROGAN WARD/REUTERS

L’ancien président sud-africain Nelson Mandela, héros de la lutte anti-apartheid, est décédé pour la première fois le 5 décembre 2013. D’une mort naturelle qui a suscité une émotion planétaire. Cinq jours plus tard, lors d’un hommage international à Johannesburg, l’Américain Barack Obama et le Cubain Raul Castro échangeaient une poignée de main historique. Pas moins de 51 autres chefs d’Etat et de gouvernement avaient assisté à cet ultime adieu à l’ancien pensionnaire de la tristement célèbre prison de Robben Island.

Mandela vient à nouveau de mourir. Cette fois symboliquement. Tué par les siens qui ont fait sauter toutes les digues morales qu’il avait posées dans l’exercice du pouvoir politique, en tant que premier président noir de l’Afrique du Sud post-apartheid.

A peine sorti de prison en février en 1990, le Prix Nobel de la paix 1993 avait fait le tour de la planète pour remercier ceux qui l’avaient soutenu pendant ses vingt-sept années de détention, mais aussi pour lever les fonds nécessaires à la préparation de l’arrivée aux affaires de l’African National Congress (ANC).

De l’Australie au Zimbabwe, de l’Indonésie au Nigeria, Mandela avait ramené d’énormes sommes d’argent qu’il a intégralement versées aux caisses de l’ANC. Jamais l’idée de s’en servir pour transformer sa villa de Johannesburg ou sa maison natale de Qunu ne lui avait traversé l’esprit. Fait totalement inédit sur le continent, le héros de la lutte anti-apartheid avait choisi de renoncer au pouvoir après un seul mandat de cinq ans (1994-1999). Il estimait alors avoir suffisamment balisé le chemin pour son successeur, Thabo Mbeki, et ceux qui viendront bien plus tard.

La trahison des héritiers

Il n’est donc nul besoin d’être prophète pour deviner que, de là où il se trouve désormais, Mandela ne peut qu’être révolté et attristé par les frasques de Jacob Zuma, son second successeur à la tête de la nation « arc-en-ciel » qu’il a bâtie de ses mains. Quel gâchis.

A l’opposé de celui qui fut son mentor, Jacob Zuma, ancien chef des services de renseignement de l’ANC, a puisé dans les caisses de l’Etat pour effectuer de luxueux travaux dans sa ferme privée de Nkandla, faisant passer la construction d’une piscine et d’un poulailler pour des dépenses de sécurité. Sans aucune gêne, il s’était accroché à cette pitoyable explication jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle lui donne tort, le 31 mars, et ordonne le remboursement des dépenses indues sous quarante-cinq jours.

A regarder de près la gestion de Zuma depuis le putsch contre Thabo Mebki qui lui a permis devenir président en 2009, l’affaire Kraal NKandla n’est pas la seule casserole qu’il traîne. Le président sud-africain pourrait en effet être rattrapé par une vieille affaire de corruption liée à un contrat d’armement impliquant le groupe français Thalès. Condamné en 2005 à quinze années de prison, l’homme d’affaires Schabir Shaik a toujours soutenu avoir versé près de 160 000 euros de pots-de-vin à Jacob Zuma, vice-président sud-africain au moment des faits.

Quels que soient les développements judiciaires sur ce nouveau front, il y a fort à parier que Jacob Zuma ne démissionnera pas. Il n’a pas la grandeur d’âme de Mandela, ni la même adhésion que lui aux valeurs d’exemplarité, d’éthique et de rigueur.

Gare à la sanction politique

Que Jacob Zuma emprunte le chemin qu’il a choisi face à la répétition des scandales, cela peut s’expliquer par l’instinct de s’accrocher aux délices du pouvoir. Mais qu’il soit soutenu quasi unanimement par les instances de l’ANC paraît moins compréhensible. Disons-le sans ambages : il s’agit là d’une dérive collective en porte-à-faux avec les idéaux portés par Mandela et les « historiques de l’ANC » que sont Olivier Tambo, Walter Sisulu, Albert Lutuli, Ahmed Kathrada, Stive Biko et bien d’autres. Cette posture est d’autant plus risquée politiquement que la société sud-africaine a sociologiquement évolué depuis la fin de l’apartheid en 1994. Une partie des Sud-Africains, principalement ceux qui vivent en zone rurale, continue de voter massivement pour l’ANC, y voyant surtout le parti de la libération de la « domination raciale ».

En revanche, une autre partie de la société est de moins en moins sensible à cette « dette morale ». Elle attend plutôt des réponses concrètes à ses problèmes quotidiens : le chômage qui atteint jusqu’à 40 % chez les jeunes des townships, l’accès au logement, à l’électricité, aux services de santé, à l’école publique…

A quelques mois seulement des élections locales du mois d’août, « le parti historique » doit craindre de devoir payer dans les urnes les frasques de Jacob Zuma. On observe ainsi parmi les indices de ce probable vote-sanction la progression des adversaires de l’ANC dans les enquêtes d’opinion : l’Alliance démocratique ou les Combattants pour la liberté économique (EFF) de Julius Malema. L’autre signe de la mauvaise passe de l’ANC, ce sont ses difficultés à remplir les stades lors de ses derniers meetings.

De là à envisager que les héritiers de Mandela perdent, le 3 août, des villes emblématiques telles que Johannesburg et Port Elizabeth, il n’y a qu’un pas que de nombreux analystes n’hésitent plus à franchir. Jacob Zuma a déjà fait perdre à l’Afrique du Sud, en 2014, sa place de première puissance économique d’Afrique au profit du Nigeria. Ira-t-il jusqu’à entraîner la perte pour l’ANC de la bien nommée ville de Nelson Mandela Bay ?

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur de La Presse au Niger. Etat des lieux et perspectives (éd. L’Harmattan, 2009).