Le premier ministre Manuel Valls a annoncé sa volonté d’utiliser l’article 49-3 pour faire adopter la loi travail, mardi 10 à l’Assemblée nationale. | ERIC FEFERBERG / AFP

« Le 49-3 est une brutalité, le 49-3 est un déni de démocratie », déclarait François Hollande le 9 février 2006. Dominique de Villepin, alors premier ministre, avait dégainé l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour faire passer en force son projet de loi sur l’égalité des chances, incluant le contrat première embauche (CPE).

Lors de la révision constitutionnelle de 2008, c’est le premier ministre, Manuel Valls, qui faisait partie des députés souhaitant supprimer la majorité des pouvoirs du 49-3. « Seuls des textes très particuliers, tels le projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, doivent pouvoir être adoptés par la voie de l’article 49, alinéa 3 », disait un des amendements signés par Manuel Valls.

Ironie du sort, l’adoption d’un tel amendement aurait contraint le député de l’Essonne, devenu depuis premier ministre, à soumettre le projet de loi travail au vote des députés.

Acharnement thérapeutique

Pourtant, mardi 10 mai, c’est bien cet attelage, hier farouchement opposé à cet article « antidémocratique » quand il était dans l’opposition, qui a dégainé le 49-3 pour la quatrième fois du quinquennat de François Hollande. Les trois premières utilisations, pour faire passer la loi Macron, avaient provoqué un tollé. Le président et le premier ministre s’étaient alors vu rappeler leur position d’antan. Qu’est-ce qui les a fait changer d’avis ?

Pour Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-I Panthéon Sorbonne, la réponse est simple : « Ils sont au pouvoir, contrairement à hier ! Et Manuel Valls ne dispose pas d’une vraie majorité à l’Assemblée nationale. » Et ça tombe bien, puisque le 49-3 permet de « construire une majorité artificielle ».

« Le 49-3 n’a pas été inventé pour contrer l’opposition, mais bien pour contraindre la majorité à se mettre au service du gouvernement, explique Dominique Rousseau. C’est une forme d’acharnement thérapeutique de vouloir maintenir une majorité qui n’existe plus. » Pour lui, on peut donc bien parler de déni de démocratie parlementaire, car on prive les députés de la possibilité d’exprimer leur opinion.

La motion de censure : un glissement de débat

Pour certains, le 49-3 est au contraire parfaitement démocratique, car l’Assemblée nationale dispose d’un recours : la motion de censure.

Si elle est signée par au moins 10 % des députés, soit cinquante-huit parlementaires, elle est ensuite soumise au vote de l’Assemblée nationale dans les quarante-huit heures qui suivent son dépôt. En cas de majorité en sa faveur, le gouvernement se retrouve contraint de démissionner. C’est pourquoi Manuel Valls a parlé « d’engager la responsabilité de [s]on gouvernement ».

Et pour Dominique Rousseau, c’est bien là que résident toute la force et le génie du 49-3. « Le débat qui porte initialement sur une loi glisse vers un vote pour ou contre le gouvernement, en cas de dépôt d’une motion de censure. » Un glissement qui revient à poser la question suivante aux « frondeurs » : Etes-vous contre le projet de loi travail au point de faire chuter le gouvernement ? « On leur demande de faire un bilan coût avantage », précise-t-il.

Chantage justifié

Une contrainte qui ressemble à une forme de chantage, mais qui se justifie parfaitement dans le contexte actuel, selon Didier Maus, ancien conseiller d’Etat et spécialiste du droit constitutionnel : « Le 49-3 est censé être utilisé pour les projets de lois jugés essentiels à la politique du gouvernement, et cette loi travail est le gros projet de la session 2015-2016. »

Pour lui, ce recours est parfaitement logique et cohérent d’un point de vue constitutionnel, « il montre néanmoins que le gouvernement est en grande difficulté ». Par ailleurs, dans les cas où les discussions s’éternisent autour d’un projet de loi, Didier Maus évoque l’existence possible d’une forme d’accord tacite entre majorité et opposition pour avoir recours au 49-3.

Cette fois-ci, l’opposition a déposé une motion de censure, mais l’ancien conseiller d’état imagine mal les députés provoquer la chute du gouvernement et précipiter la tenue de nouvelles élections. D’ailleurs, en quatre-vingt-quatre utilisations sous la Ve République, le 49-3 n’a jamais provoqué la chute d’un seul gouvernement.

Quoi qu’il en soit, si les députés ne votent pas la motion de censure déposée par l’opposition, la loi travail poursuivra son chemin au Sénat, dont la majorité penche à droite. « On peut imaginer que les sénateurs rédigent à leur tour des amendements qui ramènent la loi à son esprit initial, lorsqu’elle était applaudie par la droite », explique Didier Maus. Si tel est le cas, l’adoption finale du projet reviendra à l’Assemblée nationale, et Manuel Valls devrait à nouveau recourir au 49-3. Un scénario qui ferait fi de plusieurs mois de débats et de contestation de la rue.