A Bucarest, sur la pelouse du stade où est mort, en plein match, le jeune joueur camerounais Patrick Ekeng, vendredi 6 mai 2016. | DANIEL MIHAILESCU/AFP

« Oui il est mort. Patrick est vraiment mort. » Le téléphone portable de Blaise Pascal Esseri ne cesse de crépiter. Ses amis veulent savoir si les nouvelles qui circulent depuis vendredi soir, le 6 mai, sur les réseaux sociaux, sites d’information, radios et télévisions sont vraies. « Patrick Ekeng était mon ami, mon pote, mon frère, sanglote-t-il. On nous appelait les jumeaux. On a causé hier matin [vendredi] sur WhatsApp. Il m’a parlé du match qu’il allait livrer en soirée. Je ne savais pas qu’il allait mourir. » Blaise, tout de noir vêtu, s’interrompt, retire ses lunettes de soleil qui lui mangent le visage, essuie ses larmes et les remet en place, d’une main tremblante.

Au quartier Essos, en plein cœur de Yaoundé, capitale du Cameroun, les amis d’enfance de Patrick Ekeng, décédé le 6 mai à Bucarest après un malaise lors d’un match du championnat de Roumanie, sont sous le choc. La mine triste, les yeux hagards et rougis, ils ne parlent pas. Tous ont passé « la pire nuit de leur existence ». Lorsqu’on lui a d’ailleurs annoncé le décès de son « pote », Blaise a d’abord pensé à un « canular ». Mais, au fur et à mesure qu’il se renseignait, la nouvelle se confirmait. Après une nuit blanche, ce jeune technicien vivant à Douala, capitale économique, a pris le premier train pour rejoindre ses amis.

Jeune prodige

Ils se sont rassemblés samedi près du « petit stade » aujourd’hui transformé en garage, parking et point de lavage des voitures, où Patrick aimait jouer. « Je l’ai connu ici il y a plus de dix ans, raconte Anicet Ondoa, un autre ami, la voix brisée par le chagrin. A l’époque, nous étions tous jeunes et nous jouions au football chaque week-end. Il venait d’arriver dans le quartier avec sa famille. Un jour, il est venu dans ce stade et nous a demandé s’il pouvait jouer avec nous. Il était tout frêle mais nous avons accepté. » Dès le premier match, les amis sont « épatés » par le « petit génie ». Patrick manie le ballon comme « bonjour ». Il joue et dribble tellement bien pour son jeune âge qu’ils le surnomment « Ballon d’or », convaincus qu’un jour, celui qu’ils appellent affectueusement « Patou », obtiendra cette consécration.

Le footballeur camerounais Patrick Ekeng jouait au Mans FC avant d'intégrer avec le Dinamo Bucarest en 2015. Ici lors d'un match Bastien-LeMans en 2012. | JEAN-FRANCOIS MONIER/AFP

Très rapidement, ils forment le « Zimbabwe », un fan-club qui suit le joueur dans tous ses déplacements. Ces encouragements finissent par porter ses fruits : Patrick passe avec brio le test du mythique club de 1re division Canon de Yaoundé en 2008 alors qu’il est encore élève au lycée de Nkoldongo. Joseph Atangana, entraîneur du Canon qui le coachait déjà à l’époque, se souvient d’un joueur « trop jeune », avec une forte présence physique et sans crainte de l’adversité. D’ailleurs, comme test, Patrick doit affronter un défenseur « très redoutable ». Il sort gagnant du duel, ce qui renforce l’admiration du coach qui exige qu’une licence lui soit immédiatement établie. La carrière du jeune prodige est lancée.

En 2009, Patrick Ekeng est sélectionné à l’équipe nationale junior pour prendre part à la Coupe d’Afrique des nations au Rwanda. Le Cameroun est battu en finale mais gagne une place à la coupe du monde junior en Colombie. De retour de cette compétition, Patrick s’envole pour Le Mans, en France, vers une carrière qui le mènera tour à tour en Suisse, en Espagne et en Roumanie. C’est là qu’il décède à l’âge de 26 ans, laissant une veuve et une petite fille de 2 ans. « Voir un talent partir ainsi me fait mal, murmure Joseph Atangana. C’est un goût d’inachevé qui m’habite. Mais, j’ai aussi l’impression que Patrick n’a pas eu la carrière qu’il méritait. Il était très talentueux. »

Samuel Eto’o « abattu »

A Essos, les amis s’apprêtent à aller rendre visite à la mère de leur ami qui s’est effondré sept minutes après son entrée sur le terrain, lors de la rencontre qui opposait son club de Dinamo Bucarest au Viitorul Constanta. Pour se donner du courage, ils revisitent les anciennes photos où on les voit à côté d’un Patrick toujours souriant. Ils écrasent une nouvelle larme. Comme un signe funeste du destin, on attend les taxis à l’avenue Marc-Vivien-Foé, du nom du footballeur camerounais qui s’est lui aussi effondré le 26 juin 2003 sur la pelouse du stade Gerland à Lyon, lors de la demi-finale de la Coupe des confédérations.

« En août 2015, un autre joueur est décédé à Douala après un malaise en plein match. Ça fait beaucoup pour les Camerounais, s’énerve Bienvenu Bikéi, journaliste sportif, qui a suivi de bout en bout la carrière du jeune Patrick. Ce jeune homme ne méritait pas la mort. En 2015, lorsqu’il a été sélectionné en équipe nationale pour la CAN en Guinée-Equatoriale, j’ai compris que je n’étais pas le seul à voir ce talent immense caché dans cette jeunesse. Je pensais qu’il devait avoir le temps de l’exprimer. Je suis choqué et attristé par cette mort brutale. »

A Bucarest, en plein match contre Viitorul Constanta, l'international camerounais Patrick Ekeng s'effondre, foudroyé par une crise cardiaque, le 6 mai 2016. | REUTERS

Une mort tragique qui stupéfie aussi les grands noms du foot camerounais. « C’est totalement incompréhensible de partir si jeune, avec un talent certain, dont les premiers rayons illuminaient déjà le maillot vert, rouge et jaune. Le football avait encore besoin de toi, mais la vie en a décidé autrement », écrit sur sa page Facebook la star de football camerounaise Samuel Eto’o, complètement « effondré » et « abattu ».

« La famille du football camerounais vient de perdre un frère. Je ne peux pas le croire », s’émeut pour sa part Stéphane Mbia, capitaine des Lions indomptables, sur son compte Twitter. « La mort est devenue ordinaire. Mais cette mort directe, cruelle, étonnante, inattendue, rapide, me donne des frissons. Où est parti ce génie ? », s’interroge une internaute dont le « cœur saigne d’une douleur atroce ». Sur Facebook, de nombreux profils camerounais ont été changés à l’image du joueur décédé.

« Il ne voulait pas jouer »

Au domicile familial au quartier Ngousso, les pleurs résonnent de toute part. Céline Ekeng, la maman de Patrick, pleure son « fils », son « beau gosse », son « compagnon », son « footballeur ». Des voisins, proches, amis et passants, s’arrêtent, pleurent aussi. « J’ai toujours voulu que Patrick aille à l’école. Mais il a préféré le football. C’était sa passion, sa raison confie Céline, le regard perdu. Dieu l’a rappelé, mais pourquoi si jeune ? » Yannick Adebogo, joueur de Titanic d’Edéa (2e division), par ailleurs l’un des amis d’enfance de Patrick, assure avoir eu une conversation avec le joueur trois heures avant sa mort.

A Yaoundé, les amis du jeune joueur camerounais Patrick Ekeng, foudroyé par une crise cardiaque en plein match avec le DInamo de Bucarest, le 6 mai 2016, montrent leurs photos souvenirs. | Josiane Kouagheu

« Il m’a dit qu’il était fatigué et qu’il ne voulait pas jouer », confie Yannick, la mine défaite. C’est Patrick qui l’encourageait à ne pas baisser les bras, à continuer à travailler pour devenir « meilleur footballeur ». Dans la cour du domicile où une bâtisse de deux niveaux en construction s’érige, il y a déjà du monde. Tous sont venus pleurer Patrick « l’ami », « le frère », « celui qui n’hésitait pas envoyer de l’argent quand on était en difficulté ». « C’est la maison que Patrick voulait construire », sanglote sa mère. Patrick est parti « sans Ballon d’or » et même sans avoir le temps de finir la construction du « palace » dont il rêvait depuis tout petit.