Naomie Vogt-Roby et Maxime Bachellerie dans le film français de Damien Manivel, « Le Parc ». | SHELLAC

Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID)

Un diamant scintille dans la nuit cannoise. Un petit film réalisé avec trois fois rien, qui possède le charme artisanal du cinéma des origines, et brille des feux colorés que peut aujourd’hui produire la technologie numérique. Le Parc, deuxième long-métrage de Damien Manivel, présenté mardi 17 mai à l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion), met en scène une rencontre amoureuse dans un parc, et ses conséquences, en basculant insensiblement d’un naturalisme prosaïque à un climat fantastique envoûtant.

L’auteur, Damien Manivel, s’est fait un nom en réalisant, dans une ascèse qu’il revendique, de formidables courts-métrages (La Dame au chien, notamment), et un long, Un jeune poète, sorti en 2015.

Pour son film, il n’a eu besoin que de trois acteurs, trouvés au terme d’un long casting sauvage, et d’un parc

Dans sa note d’intention, il explique qu’il aime passer du temps dans les parcs pour observer les histoires ordinaires qui s’y déroulent. « Quand je regarde longtemps ces paysages, du banal surgit l’étrange. » Pour son film, il n’a eu besoin que de trois acteurs, trouvés au terme d’un long casting sauvage, et d’un parc dont il fallait, pour que le charme opère, qu’il présente suffisamment de relief, de diversité de paysages, de caractère. Car ce parc est le personnage principal du film, une divinité protectrice mais potentiellement dangereuse, dont le récit minutieusement chorégraphié œuvre à révéler les formes, les mouvements, l’inquiétante étrangeté.

Tout commence par une belle journée d’été. Dans le parc, un garçon seul semble attendre quelqu’un. Une fille le rejoint, s’assoit à côté de lui sur un banc. C’est leur premier rendez-vous amoureux. Ils sont timides. Mais à mesure qu’ils s’enfoncent dans ce parc qui pourrait être la version française de la jungle qui borde les villages dans les films d’Apichatpong Weerasethakul, leur parole se libère. Il lui parle de Freud, elle lui parle de gymnastique. Et les gestes suivent. Elle lui montre une acrobatie, il tente sans succès de l’imiter. Arrivés dans le bois, à l’abri des regards, ils peuvent enfin se toucher, s’embrasser, coller leurs peaux l’une contre l’autre.

Loin des rivages du réel

Confiants comme les héros glorieux d’un conte de fées, les jeunes amants se projettent dans un amour éternel. L’après-midi touche à sa fin, le garçon s’en va, la fille reste, allongée dans l’herbe, lui envoie un SMS. Et c’est la douche. Le garçon se rétracte. Il regrette. Le texte des messages s’inscrit à même l’écran dans des lettres de couleur vive tandis que la douleur et le dépit effacent le sourire de la jeune fille, et que le jour cède la place à la nuit. « J’aimerais revenir en arrière, pour que rien de tout cela n’ait existé. »

Comme un médecin des âmes, le bois accouche la parole, qui se traduit en actes. Après ce dernier message, la jeune fille se lève, se met en marche pour refaire, à reculons, le chemin qu’ils ont accompli ensemble dans la journée. Mais, dans le bois, elle se perd et un gardien à la peau noir ébène et au regard inquiétant l’entraîne loin des rivages du réel, dans la lumière magique d’une lune artificielle.

Quelque part entre La Reine des pommes, de Valérie Donzelli, et La Nuit du chasseur, de Charles Laughton, ce petit film se déploie pendant une heure et dix minutes avec la grâce d’un funambule. Une durée parfaite, non pas parce qu’elle serait modeste, mais parce qu’elle correspond exactement à l’économie du récit. Comment ne pas vouloir souhaiter à ce joli Parc le destin de conte de fées pour lequel il semble taillé ?

Film français de Damien Manivel avec Naomie Vogt-Roby, Maxime Bachellerie, Sobere Sessouma (1 h 11). Sur le Web : www.shellac-altern.org/films/426 et www.lacid.org/Le-Parc