La police scientifique devant l'entrée de l'appartement de Verviers après l'assaut le 15 janvier 2015. | FRANCOIS LENOIR/ REUTERS

C’est une affaire qui, vue de France, est longtemps restée une histoire belge. Une affaire de djihad marginal, un peu bancal, déjouée sans éclat, un soir d’hiver dans le smog d’outre-quiévrain. La « cellule de Verviers », démantelée le 15 janvier 2015 lors d’un assaut brutal des forces de l’ordre, aurait pu à jamais rester un dossier méprisé. L’histoire de la copie ratée des attaques de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. Mais son procès s’ouvre, lundi 9 mai, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, avec, seize mois plus tard, des préjugés totalement inversés.

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C’est en effet presque un « pré-procès » des attentats du 13 novembre 2015, à Paris, qui risque de se tenir, en creux, durant trois semaines, au palais de justice de la capitale belge. Au grand dam des avocats des 16 prévenus cités à comparaitre pour « participation aux activités d’un groupe terroriste ». La cellule de Verviers avait un leader présumé : Abdelhamid Abaaoud, décédé dans l’assaut policier à Saint-Denis, le 18 novembre 2015, cinq jours après les attentats parisiens. Or ce barbu de 28 ans à la silhouette aussi ingrate que le sourire dantesque, a entre-temps écopé du galon de « cerveau » des tueries parisiennes.

La « cellule souche » des attentats du 13 novembre ?

La cellule de Verviers est-elle pour autant la « cellule-souche » des attentats du 13 novembre, voir du 22 mars à Bruxelles, où les derniers membres du commando parisien sont passés à l’acte ? Ce sera l’un des enjeux de ce procès. Les 16 prévenus sont soupçonnés d’avoir, à des degrés divers, été mêlés au projet d’attentat du groupuscule, ou d’avoir été dans la sphère d’influence d’Abdelhamid Abaaoud. Ils sont Belges, Français, Algériens, Marocains. Neuf d’entre eux seront absents car en fuite ou présumés partis rejoindre les rangs de l’organisation Etat islamique (EI). Mais aucun n’a eu jusque-là l’envergure suffisante pour être connu du grand public.

Le dossier Verviers, dans sa phase finale, se résume par ailleurs à un huis clos. Celui de deux hommes traqués par les services belges depuis le 15 décembre 2014. Leur planque, située à l’étage d’une maisonnette au cœur de cette cité industrielle proche de Liège, est placée sous écoutes. Leurs conversations sont enregistrées nuit et jour. Elles laissent apparaître des projets d’attaques de plus en plus précis. Après la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier, et celle de l’Hyper Cacher, le 9 janvier, les services de renseignements redoutent plus que tout un scénario d’attaques en série. Et à l’arrivée d’un troisième individu, manifestement équipé d’une arme, décision est prise de lancer l’assaut.

Un arsenal complet

La fusillade qui éclate est conduite par les unités spéciales de la police fédérale belge. Elles sont soutenues pour l’occasion par les hommes du GIGN français. Deux des djihadistes présumés meurent dans l’affrontement : Soufiane Amghar, 26 ans, et Khalid Ben Larbi, 23 ans. Ils venaient de rentrer d’un séjour de près de huit mois en Syrie. Seul le troisième homme va avoir la vie sauve en tentant de s’échapper par la fenêtre : Marouane El Bali, 27 ans. Poursuivi en plus du reste pour « tentative de meurtre » sur agents des forces de l’ordre, il constitue aujourd’hui l’un des personnages centraux du procès.

Pour la défense, tout l’enjeu sera de contester le bien-fondé de cet assaut. Soutenir que les éventuels projets d’attentat étaient encore mal définis, peu aboutis. Que les liens avec Abdelhamid Abaaoud étaient ténus. Et ce, bien que les enquêteurs aient retrouvé dans l’appartement conspiratif un arsenal qui laisse penser exactement le contraire : trois kalachnikovs, quatre armes de poing, des munitions, et presque tout le nécessaire pour fabriquer cinq kilos d’explosifs. A cet équipement était joint de quoi communiquer de manière particulièrement agile : talkies-walkies, radios portables. Des pièces d’uniforme de policier ont également été découvertes.

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Quelle était pour autant la cible exacte des djihadistes présumés ? Durant leurs dernières heures de vie enregistrées par les micros cachés, on comprend à demi-mot qu’un commissariat et des policiers étaient sans doute dans le viseur. L’enquête dira qu’il aurait pu s’agir du quartier général fédéral de la police belge, à Bruxelles, ou du commissariat de Molenbeek, ce quartier populaire de la capitale, fief islamiste radical depuis des années. La piste d’un enlèvement d’une autorité belge pour la décapiter en direct a aussi été évoquée. Mais le flou demeure.

Adoubés par l’Etat islamique

Après le démantèlement de la « cellule de Verviers », l’organisation Etat islamique (EI) a officiellement adoubé le projet déjoué par la voix de son plus haut porte-parole : Abou Mohamed Al-Adnani. Les deux djihadistes tués, Soufiane Amghar et Khalid Ben Larbi, ont eu droit à la publication de leur portrait sur Twitter avec la mention : « Puisse Allah leur accorder une place à ses côtés ». Enfin, un mois plus tard, dans la revue de propagande Dabiq, Abdelhamid Abaaoud se félicitait d’avoir échappé à la vague de perquisitions et d’interpellations et légitimait son action.

L’échec de Verviers a-t-il servi malgré lui de rodage au commando du 13 novembre qui a ensuite essaimé jusqu’au drame de Bruxelles ? Tout le mode opératoire est en tout cas en place. Dans la liste des prévenus apparaissent déjà les liens serrés entre réseaux radicaux belges et français (quatre mis en cause sont français). Comme dans le dossier du 13 novembre, plusieurs trajets en voiture ont été effectués à travers l’Europe pour ramener les ex-djihadistes du front syrien. Athènes surtout, apparaît déjà comme une solide base arrière logistique, et le véritable point de chute d’Abdelhamid Abaaoud.

Mais dix mois durant, les enquêteurs ne parviendront jamais à mettre la main sur lui. Et le 13 novembre, l’enfant de Molenbeek mènera cette fois jusqu’au bout ses ambitions macabres.