Résultats du CNSAD 2016
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Il est 23 h 30 et son nom est sur la liste des futurs élèves du Conservatoire. Au milieu des cris de joie et des youyous, Oulaya passe de bras en bras, essuie une larme et secoue sa cascade de boucles brunes. « Ma vie va changer », lâche-t-elle, avant de s’exclamer : « C’est le jackpot, je suis tellement heureuse ! ». A son côté, les yeux brillants sous un hidjab clair, sa mère exulte : « Je suis très très fière de ma fille ! »

Ce mercredi 11 mai, Oulaya Amamra, 20 ans et originaire de Viry-Châtillon (Essonne), rejoint Gérard Philipe, Juliette Binoche et Guillaume Gallienne au rang des admis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD).

« Retenez bien son nom, car vous allez entendre parler d’elle ! », sourit Houda Benyamina, réalisatrice et cofondatrice de l’association 1 000 visages, qui milite pour l’accès à la culture dans les banlieues. « L’admission d’Oulaya va donner de l’espoir à tous les autres jeunes qui se disent que le Conservatoire, ce n’est pas pour eux », ajoute t-elle.

C’est grâce au soutien de cette association qu’Oulaya Amamra s’est préparée aux trois redoutables épreuves d’accès au CNSAD. Mille trois cent trente-deux candidats s’y sont présentés, pour 31 places cette année.

« Ressembler au monde tel qu’il est »

Tout comme l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS), dont la promotion fraîchement recrutée est composée de huit élèves « issus de la diversité » sur douze, cette formation d’élite des comédiens français s’extrait d’un certain entre-soi théâtral, avec des élèves souvent « issus des classes moyennes ou supérieures et bien loin du prolétariat », décrit Houda Benyamina.

« C’est une nécessité que le Conservatoire ressemble au monde tel qu’il est aujourd’hui, dit avec insistance Claire Lasne-Darcueil, directrice de l’établissement depuis 2013. C’était un de mes objectifs principaux en arrivant, et je suis stupéfaite de la rapidité avec laquelle l’origine sociale ou géographique des candidats au concours s’est diversifiée. »

Un constat que partage Stanislas Nordey, qui a dirigé durant douze ans l’école du Théâtre national de Bretagne et se trouve aujourd’hui à la tête de la très réputée école strasbourgeoise. « Au début des années 2000, nous ne voyions qu’un ou deux candidats issus de la diversité par journée d’audition. Les jeunes qui avaient la vocation et qui venaient des zones rurales ou de milieux moins favorisés n’osaient même pas se présenter », explique-t-il.

Claire Lasne-Darcueil comme Stanislas Nordey se refusent fermement à parler de « discrimination positive » aux concours d’entrée. « Nous choisissons les meilleurs. Qu’ils soient issus de la diversité ou non n’est pas une question. »

Margot et Mohamed, reçus cette année, prennent la pose devant la liste des admis au Conservatoire. | Agathe Charnet pour Le Monde

Ecoles sélectives et/ou coûteuses

Tous deux expliquent le renouvellement observé par un travail de terrain mené en amont de ces difficiles concours des douze écoles supérieures d’art dramatique : s’y présenter requiert une année de pratique théâtrale, dans des écoles elles-mêmes sélectives et/ou coûteuses. Et certains candidats n’hésitent pas à faire aussi appel à des mentors, dont les tarifs sont généralement de 30 euros de l’heure.

« Ces concours induisent une discrimination sociale, s’insurge Nicolas Bigards, qui a mis en place depuis deux ans une classe préparatoire égalité des chances à la maison de la culture de Seine-Saint-Denis (MC93), à Bobigny. Certains jeunes n’ont ni les moyens financiers ni même l’accès à l’information pour préparer les auditions. Notre rôle est de les repérer puis de les accompagner vers les concours en les mettant en confiance. »

Le dispositif – gratuit – s’est révélé des plus efficaces, puisque deux élèves de Bobigny sont entrés au CNSAD et au TNS cette année.

Comme la MC93, la Comédie de Saint-Etienne a lancé dès 2014 une prépa intégrée égalité des chances. Stanislas Nordey a fait de même, avec son programme « 1er acte », au Théâtre de la Colline, à Paris, puis au TNS.

L’école régionale d’acteurs de Cannes (ERAC) accueille dans sa nouvelle promotion deux comédiens qui ont suivi son programme d’égalité des chances. « Je n’aime pas employer le terme de “diversité”, tempère Didier Abadie, directeur de l’école cannoise, je préfère rappeler la formule d’André Malraux d’accession à la culture”. »

« Début du combat »

Le sourire radieux d’Oulaya, 20 ans, admise au Conservatoire avec le soutien de l’association 1 000 visages. | Agathe Charnet pour Le Monde

L’ambition de ces écoles nationales est de façonner le paysage théâtral de demain avec de nouveaux talents. « Les différences entre les élèves, quelles qu’elles soient, apportent une immense richesse à nos classes, s’enthousiasme Didier Abadie. Nous sommes là pour former des acteurs en prise avec le monde, au plus près de la société. »

Et Stanislas Nordey de renchérir : « En se rencontrant dans les grandes écoles, les élèves formeront ensemble les compagnies qui joueront sur nos scènes nationales. »

Pour Nicolas Bigards, le chemin à parcourir est néanmoins encore long : « Il faudra ensuite accompagner ces jeunes dans leur insertion professionnelle, s’assurer qu’ils trouvent leur place, sur nos scènes comme sur nos écrans. Les talents sont là, mais nous ne sommes qu’au début du combat. »

La vie de comédienne semble sourire à Oulaya Amamra. Elle tient le premier rôle dans le long-métrage Divines, réalisé par son mentor Houda Benyamina, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Et pour sa rentrée au Conservatoire, Oulaya ne manque pas de projets. « Je vais apprendre le chant, la danse, je vais avoir des profs de dingue et en plus c’est gratuit », savoure la jeune femme.

Pour l’audition du concours, elle avait choisi Molière, « le plus moderne de tous ». Elle ajoute, d’un air mutin : « Qui sait, peut-être qu’un jour je jouerai Le Malade imaginaire à la Comédie-Française ! »

Trois choses à savoir sur les concours des écoles supérieures d’art dramatique

Pour prétendre entrer dans ces écoles, il faut généralement être âgé de 18 à 26 ans. De nombreux établissements publics ou privés préparent aux concours et délivrent l’attestation de formation initiale.

Les premières épreuves consistent à présenter des scènes de trois minutes issues du répertoire classique ou contemporain. Dans toutes les écoles, à l’exception du CNSAD, les admissibles sont départagés à l’issue d’un stage final effectué au sein de l’établissement.

Pour réussir un concours, Philippe Sire, du conservatoire de Lyon – qui intègre 50 % de ses élèves depuis 2006 – préconise d’« éviter le formatage » et de « montrer sa personnalité sans mettre en avant son seul savoir-faire ». Stanislas Nordey conseille avant tout aux candidats de « défendre des textes qu’ils aiment ».