Mohamed et Faouzi, deux étudiants syriens originaires de Hama et d'Alep, bénéficient d'un dispositif d'accueil mis en place par le Crous de Paris. | Perrine Mouterde / Le Monde

Ils ont pris leur décision en à peine quelques heures. Ils étaient partis pour l’Allemagne. Ce sera finalement la France. Lorsqu’ils sont arrivés à Munich, au début de septembre 2015, après avoir traversé, chacun de leur côté, la Méditerranée et les Balkans, Mohamed et Faouzi sont tous les deux tombés sur un bureau de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). Des agents leur ont proposé de venir demander l’asile en France, leur promettant le meilleur accueil. « On ne m’a pas posé de questions, c’est moi qui en posais », se souvient Mohamed, 26 ans.

A l’époque, l’Allemagne est submergée par les arrivées de migrants. Les Européens négocient la mise en œuvre de quotas pour se répartir les réfugiés. A la demande de la chancelière Angela Merkel, Paris s’est engagé à prendre immédiatement en charge mille personnes « en besoin manifeste d’assistance ». Mais les agents de l’Ofpra dépêchés en Allemagne peinent à recruter. Mohamed et Faouzi, comme les autres, ont entendu dire que la situation des réfugiés était « très difficile » de l’autre côté du Rhin. Ils se laissent pourtant convaincre. Faouzi repart pour Paris le jour même de son arrivée ; Mohamed, le lendemain.

Un choix qu’aucun des deux ne regrette aujourd’hui. Les promesses des agents de l’Ofpra ont été tenues, parfois même au-delà de leurs espérances. Comme douze autres jeunes, dont deux mineurs, ils sont pris en charge par un dispositif spécifique du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de Paris, piloté par la préfecture.

Mohamed et Faouzi ont obtenu leur statut de réfugié pour dix ans, sont inscrits dans un cursus de français langue étrangère à l’université, logés dans une résidence étudiante moderne, porte de Patin, où « ils ont même des douches à l’italienne », s’amuse l’interprète du service civique de la préfecture, Hélène Momika.

« Ici, je peux faire tout ce que j’aime »

Pendant deux mois, un assistant social du Crous, Jean-Philippe Rapiné, a également été détaché pour les accompagner dans leurs démarches. « Il a fallu régler beaucoup de choses sur le plan administratif, se battre pour qu’ils puissent ouvrir un compte bancaire, les accompagner pour les visites médicales, raconte-t-il. Au départ, avec la barrière de la langue, même se donner rendez-vous était compliqué. »

« Dès le lendemain de leur installation ici, ils avaient l’air plus reposés, plus confiants, ajoute Christiane Herder, responsable de la division vie étudiante du Crous de Paris. Ils avaient une maison. Je suis impressionnée par leur solidité. Ils ne se plaignent jamais, se sont tout de suite projetés dans le présent. »

Mohamed, 26 ans, a fui la région de Hama pour échapper au service militaire. Son objectif aujourd'hui : apprendre le français, obtenir un diplôme d'ingénieur et trouver un emploi. | Perrine Mouterde / Le Monde

En six mois, même la carrure de Faouzi a pris du volume. Il fait de la musculation, du basket. Son studio blanc, où traînent une guitare, des toiles et des pots de peinture, domine de vastes terrains de sport. « Je peux faire tout ce à quoi j’aspirais, tout ce que j’aime, se réjouit-il. C’était impossible en Syrie. » A Alep, la plus grande ville du pays qui vit aujourd’hui sous la menace d’un encerclement total par les forces loyales à Bachar Al-Assad, Faouzi avait entamé des études de littérature anglaise. Puis a dû les interrompre, à cause du conflit. Aller à l’université était devenu trop dangereux et trop coûteux.

Il n’avait pas grand-chose à faire à part rester chez lui, voir quelques amis. Depuis quatre ans, il vivait dans l’appartement de sa grand-mère, dans un quartier sous contrôle du régime, au rythme des coupures d’eau et d’électricité, de la hausse effrénée des prix. L’an dernier, il s’était fait une raison. Il n’y avait pas de futur pour lui en Syrie. Encouragé par son père, ce fils unique a préparé son départ. En juillet, il a réussi à gagner le Liban puis a suivi la route que tant d’autres ont foulée.

« Notre pays est perdu »

Faouzi, 20 ans, a fui Alep en juillet 2015. "Il n'y avait plus d'avenir pour moi en Syrie", dit-il. | Perrine Mouterde / Le Monde

Mohamed a, lui, quitté la campagne de Hama, dans l’ouest du pays, début 2014. Lui aussi avait dû arrêter ses études d’ingénieur civil. « Des amis ont été tués sur la route de l’université », dit-il. Pour échapper au service militaire, il a fui vers la Turquie où vivait déjà l’un de ses frères. Il a tenté de poursuivre ses études à Istanbul, en vain. Alors il a repris la route pour l’Allemagne, en août 2015. Ses parents et l’un de ses frères vivent toujours près de Hama, dans une zone sous contrôle des troupes de Bachar Al-Assad. « C’est à peu près calme, mais je crains qu’ils ne soient la cible de représailles parce que je suis parti », explique-t-il.

Comme Faouzi, Mohamed n’a pas participé aux manifestations contre le pouvoir, même s’il comprend les motivations de ceux qui sont descendus dans la rue, il y a cinq ans. « Le jour où les bombardements, les combats et les meurtres s’arrêteront en Syrie, je pourrai rentrer, constate-t-il. Mais, en attendant, je veux apprendre le français, obtenir mon diplôme d’ingénieur, trouver un emploi. »

La politique, Faouzi, lui, « s’en fiche ». « Je ne soutiens ni les rebelles ni le régime, tout le monde a tort et chaque camp est mauvais, assène-t-il. Notre pays est perdu. » Du haut de ses 20 ans, il dit avoir tiré un trait sur la Syrie. Il voudrait faire venir ses parents en France mais ne veut surtout pas retourner là-bas. Son avenir est ici, assure-t-il.

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