A quelques jours de la montée des marches, Lotfi Achour affiche un visage serein. « Je pense que le stress va venir après, une fois sur place. J’ai fait beaucoup de festivals avec des films, des pièces, mais là c’est quelque chose de vraiment particulier. » Le 21 mai, son film, La Laine sur le dos, sera projeté en compétition dans la section court-métrage de la 69e édition du Festival de Cannes.

Lotfi Achour y raconte les mésaventures d’un grand-père et de son petit-fils arrêtés par deux gendarmes en plein désert. Comme pour ses précédents projets, le réalisateur a tourné en Tunisie et en langue arabe. Le film, qui dénonce la corruption, est ancré dans la société tunisienne. « Il a une dimension assez universelle tout en gardant des sujets très personnels, explique Sébastien Hussenot, le coproducteur du court-métrage. Il veut faire des films accessibles à tout le monde en utilisant tout ce que le cinéma propose dans ses codes, dans ses genres, tout ce qu’il donne comme attrait narratif. »

Dimension universelle

La dimension universelle de son cinéma est encore plus présente dans son court-métrage précédent. Avec Père (2014), le réalisateur s’inspire d’une légende urbaine du monde arabe pour aborder le thème de la paternité. Le film fait quatre-vingt-dix festivals et reçoit une trentaine de prix.

Lotfi Achour a consacré ces deux dernières années au cinéma, mais c’est au théâtre qu’il a fait ses armes, en ne cessant de créer et d’intégrer dans son travail des médias différents. Plus jeune, l’artiste se dirigeait vers une tout autre voie.

Alors qu’il étudie l’économie à Tunis, son frère de 14 ans tombe gravement malade. Lotfi Achour l’emmène d’urgence à Grenoble pour le faire soigner, mais celui-ci meurt deux mois après son arrivée en France. « Ça a été le moment de rupture totale. J’avais 20 ans, j’ai tout arrêté. J’étais complètement perdu. » Après plus d’un an d’égarement, Lotfi Achour comprend qu’il veut devenir acteur. Il commence sa formation au conservatoire de Grenoble avant d’effectuer une licence à l’Institut d’études théâtrales de Paris III.

Dans le « in » du Festival d’Avignon

Lotfi Achour se produit à plusieurs reprises sur les planches, mais il n’est pas à l’aise : « L’angoisse que ça générait dépassait le plaisir que ça me procurait ». Rapidement, le comédien décide de passer à la mise en scène et entame une collaboration avec l’auteure Natacha de Pontcharra. Elle écrit, il met en scène. Un premier tournant survient en 1998 avec L’Angélie. Lotfi Achour devient le premier Tunisien à présenter un spectacle dans le « in » du Festival d’Avignon.

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Son travail est assez éloigné du théâtre classique. « J’ai l’impression que je ne saurais pas apporter quelque chose en plus et puis ça ne m’appartient pas. » Le metteur en scène ne s’épanouit que dans la création de nouvelles pièces. Jusqu’en 2002, le texte tient une place prépondérante dans son travail, mais avec Oum, l’artiste évolue. Dans ce spectacle qui retrace la vie de la chanteuse égyptienne Oum Kalthoum et revient sur cinquante ans d’histoire politique dans le monde arabe, le metteur en scène utilise pour la première fois de la musique live et intègre également des vidéos d’archives. L’évolution continue avec La Comédie indigène, une création où le metteur en scène s’emploie à déconstruire la pensée raciste de l’époque coloniale. On y retrouve de la chanson et des vidéos.

Le court-métrage, un format qu’il affectionne

Le travail sur l’image débuté au théâtre se poursuit en 2006 avec un premier court-métrage, Ordure. Comme au théâtre, le réalisateur s’entoure d’une troupe et travaille avec des collaborateurs récurrents. Sur les plateaux de tournage, Lotfi Achour a un rapport physique au jeu. « Il a besoin de voir, de toucher, d’essayer différentes choses pour trouver ce qui lui convient », explique l’actrice franco-tunisienne Anissa Daoud, cofondatrice de la structure Artistes producteurs associés créée en 2009 avec Lotfi Achour afin de maîtriser dans le moindre détail la conception de leurs projets.

Après la réalisation d’un premier long-métrage en 2015, Burning Hope, le réalisateur revient cette année au court-métrage, un format qu’il affectionne. Pour le metteur en scène, le support importe peu, l’essentiel est de créer. « J’aime le théâtre autant que le cinéma, j’aime vivre en France autant qu’en Tunisie, j’aime faire des courts autant que des longs. Les choses ne s’opposent jamais chez moi. »