Carlos Ghosn, le PDG de Nissan, et Osamu Masuko, le président du conseil d’administration de Mitsubishi, lors de leur conférence de presse commune à Yokohama, au Japon, jeudi 12 mai. | Thomas Peter/Reuters

Carlos Ghosn régnait déjà sur Renault en France et sur Nissan au Japon. Le PDG s’apprête à étendre encore son empire, en prenant le contrôle partiel d’un autre des vingt premiers constructeurs automobiles mondiaux, le japonais Mitsubishi Motors. Les bases d’un accord en ce sens ont été posées jeudi 12 mai. « Une alliance stratégique de grande portée », a affirmé M. Ghosn depuis Yokohama, où se trouve le siège de Nissan.

Selon le projet, qui a été validé jeudi par les conseils d’administration des deux groupes, Nissan deviendra le premier actionnaire de Mitsubishi Motors. Le partenaire de Renault prévoit d’injecter 237 milliards de yens, soit 1,9 milliard d’euros, dans le cadre d’une augmentation de capital, et obtenir ainsi 34 % des actions, ont annoncé les deux constructeurs. Le groupe présidé par M. Ghosn pourra nommer 4 représentants au conseil de Mitsubishi, qui compte actuellement 14 membres. Il devrait aussi choisir le futur président. Un document plus précis est attendu d’ici au 25 mai, et un accord définitif avant la fin de l’année.

Une image écornée

Les trois constructeurs devraient demeurer séparés, mais alliés. Avec Nissan au centre de la toile, à la fois filiale (à 43 %) et actionnaire (à 15 %) de Renault, et bientôt actionnaire-clé de Mitsubishi. Au total, le trio représente environ 9,5 millions de véhicules vendus chaque année. L’opération rapprocherait ainsi Renault-Nissan des deux champions qui se disputent la première place mondiale, le japonais Toyota (10,1 millions de véhicules) et l’allemand Volkswagen (9,9 millions). Pour peu que les liens noués par Renault-Nissan avec l’allemand Daimler se resserrent, l’ensemble des quatre constructeurs japonais et européens pourrait même prétendre un jour à la première place mondiale.

Mitsubishi n’est plus un cœur solitaire qui regarde de haut ses prétendants, mais un groupe aux abois

Avec un peu plus d’un million de véhicules vendus chaque année, Mitsubishi reste un industriel de second rang dans un secteur en pleine concentration. Ses responsables réfléchissent depuis des années à un grand mariage. Après avoir été alliés avec Daimler-Chrysler durant les années 2000, ils avaient mené des discussions très avancées en 2009-2010 avec Philippe Varin, alors PDG de PSA Peugeot Citroën. Le projet était tombé à l’eau, faute d’accord sur la valeur de Mitsubishi : quoique bien plus petit que PSA, le groupe japonais valait 30 % de plus que lui en Bourse.

Changement d’époque. Aujourd’hui, Mitsubishi n’est plus un cœur solitaire qui regarde de haut ses prétendants, mais un groupe aux abois. Il a besoin d’aide. L’accord avec Nissan n’est rien d’autre qu’un plan de sauvetage, mis au point en urgence.

En quelques semaines, l’image et la cote de Mitsubishi Motors se sont en effet écroulées, à la suite d’une série de révélations sur des fraudes massives menées par le groupe. Le 20 avril, ses dirigeants ont d’abord reconnu que les chiffres affichés en matière de consommation sur quatre modèles avaient été manipulés. Quelques jours plus tard, le président de Mitsubishi, Tetsuro Aikawa, a avoué que les manipulations étaient d’une tout autre ampleur. Le constructeur trichait depuis… vingt-cinq ans !

Confiance brisée

Pour embellir les résultats des essais menés sur des véhicules 4×4, ses ingénieurs avaient par exemple fourni aux régulateurs des données provenant des tests effectués sur des modèles comptant seulement deux roues motrices. De quoi jeter le doute sur des dizaines de modèles, dont neuf toujours en vente.

« Je suis profondément désolé, mais je n’étais pas du tout au courant », a plaidé Tetsuro Aikawa, en présentant ses excuses et en promettant des « réformes drastiques ». Cela n’a guère rassuré les clients de Mitsubishi Motors, ni ses actionnaires. Dans les années 2000, la réputation du constructeur avait déjà été ternie par le camouflage de défauts sur divers véhicules. A présent, la confiance est brisée. Les commandes ont plongé, et l’action a perdu plus de 40 % de sa valeur en quelques jours à la bourse de Tokyo.

Comment tenir le choc, encaisser la chute des ventes, payer les inévitables dédommagements aux clients, ainsi que les dommages et intérêts des procès à venir ? Lors de la précédente crise, d’autres sociétés de la galaxie Mitsubishi étaient venues à la rescousse. Cette fois-ci, les dirigeants du « keiritsu » ont, semble-t-il, refusé.

Du « gagnant-gagnant »

« Nos finances sont relativement saines. A ce stade, je pense que nous pouvons nous en sortir seuls », a d’abord affirmé mercredi le président du conseil d’administration de Mitsubishi Motors, Osamu Masuko. Jeudi, le conseil n’en a pas mois accepté la main tendue par Nissan, un de ses partenaires depuis cinq ans. Nissan fabrique certaines berlines pour Mitsubishi, qui fournit de son côté des mini-véhicules à son compatriote.

L’alliance officialisée jeudi va bien au-delà de cette coopération technique et commerciale. Nissan doit devenir l’actionnaire de référence de Mitsubishi Motors, reléguant au second plan l’ex-maison mère du constructeur, Mitsubishi Heavy Industries (MHI), qui détient pour le moment 20 % des titres. Un apport de fonds apprécié par les investisseurs : jeudi, les premières informations sur l’accord ont fait bondir de 16 % le titre Mitsubishi Motors.

L’action Nissan, elle, reculait au même moment d’un peu plus de 1 %. Même si le constructeur doit débourser de l’argent et souffrir des pertes que risque de subir Mitsubishi, le rapprochement sera bénéfique, assurent ses dirigeants. Nissan a identifié assez de synergies pour justifier l’accord, a expliqué M. Ghosn : les deux partenaires pourront grouper une partie de leurs achats, partager des technologies, utiliser certaines usines en commun, voire développer ensemble la base de certains véhicules. Mitsubishi permettra aussi à Nissan d’être plus présent en Asie du sud-est. Du « gagnant-gagnant », a promis M. Ghosn.