Nicolas Sarkozy à Toulon à la librairie Charlemagne, le 26 avril 2016. | Laurent Carre

Nicolas Sarkozy est convoqué au début du mois de juin par les juges Patricia Simon et Claire Thépaut, qui souhaitent le confronter à son ami, l’avocat Thierry Herzog, et au magistrat Gilbert Azibert, les deux autres protagonistes de l’affaire de « corruption » et de « trafic d’influence », à la Cour de cassation.

Paradoxalement, pour l’ancien président, mis en examen pour ces faits depuis juillet 2014, il s’agit là d’une excellente nouvelle. Elle vient entériner la réouverture de l’instruction qui avait été clôturée par les juges le 3 février, et donc officialiser la quasi-impossibilité de le voir renvoyé devant le tribunal correctionnel avant les échéances politiques à venir, décisives pour lui − primaire de la droite en novembre, puis présidentielle au printemps 2017.

M. Sarkozy, qui a engagé depuis le déclenchement de cette affaire, révélée par Le Monde le 7 mars 2014, un bras de fer avec ses juges, semble donc avoir gagné son pari. A la course contre la montre opérée par les deux magistrates, manifestement désireuses d’obtenir que leur dossier soit jugé rapidement, M. Sarkozy, qui à l’inverse vivait dans la hantise de comparaître avant les élections devant un tribunal − et a fortiori de s’y faire condamner − a opposé une course de lenteur, dont il est sorti vainqueur. Pour ce faire, le patron des Républicains, lui-même ancien avocat, a habilement usé, avec ses conseils, des moyens de droit dont dispose tout mis en examen.

Convocations entachées d’irrégularité

La cour d’appel estime que « les juges d’instruction ont commis un excès de pouvoir »

Cette guérilla juridique aussi violente que souterraine a définitivement tourné à l’avantage de M. Sarkozy à la faveur de la décision de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris qui a fait droit le 9 mai, à la requête de l’ex-chef de l’Etat et de Me Herzog. Ces derniers estimaient que leurs précédentes convocations, respectivement les 8 octobre et 20 novembre 2015, étaient entachées d’irrégularité – ils avaient d’ailleurs refusé de répondre aux questions des juges –, l’instruction étant suspendue depuis plus d’un an. Dans son arrêt, dont Le Monde a pu prendre connaissance, la cour d’appel estime qu’« en procédant à ces actes, les juges d’instruction ont commis un excès de pouvoir qui fait nécessairement grief aux intérêts des parties ». La cour considère que « la suspension de l’information prise le 23 septembre 2014 (…) a produit ses effets jusqu’au 22 mars 2016, lorsque sont intervenus les arrêts de la chambre criminelle statuant définitivement sur les pourvois contre cet arrêt ».

Tout remonte au 23 septembre 2014, lorsque la doyenne de la chambre de l’instruction, Edith Boizette, saisie d’une première demande d’annulation de la procédure (notamment des écoutes téléphoniques sur laquelle elle repose), décida, à la surprise générale, de suspendre l’instruction le temps d’examiner la requête des mis en examen.

Une initiative qui fit perdre un temps considérable à la procédure puisque la décision de la cour d’appel fut rendue le 7 mai 2015. MM. Sarkozy, Herzog et Azibert ayant été déboutés, leurs conseils décidèrent de se pourvoir immédiatement devant la Cour de cassation, dont la décision ne sera rendue qu’un an plus tard, le 22 mars dernier précisément – en faveur des juges, là encore. Sauf que dans l’intervalle, estimant ce pourvoi non suspensif, les deux magistrates avaient repris leur enquête, de toute façon quasi terminée, en convoquant notamment les trois mis en examen afin qu’ils s’expliquent. Une erreur à en croire la cour d’appel, bien que le parquet général ait au contraire estimé que les juges étaient dans leur droit.

« Trêve » lors des échéances électorales

Nicolas Sarkozy, qui avait aussi tenté, en vain, d’obtenir la récusation de l’une de ses juges, Claire Thépaut, au motif que son appartenance syndicale aurait entaché son impartialité, avait placé tous ses espoirs dans cette décision de la cour d’appel, décisive à ses yeux. En effet, si son nom est cité dans plusieurs procédures judiciaires (il est notamment mis en examen pour « financement illégal de campagne électorale » dans le dossier Bygmalion), cette affaire était la seule susceptible de lui valoir un renvoi en correctionnelle – voire une condamnation, possiblement assortie d’une peine d’inéligibilité – avant les deux échéances majeures dont il a fait ses objectifs principaux.

La reprise de l’instruction signifie au mieux que les juges pourront reclôturer leur dossier en juin

La reprise de l’instruction signifie en effet que, dans le meilleur des cas, les juges pourront reclôturer leur dossier courant juin, après avoir confronté MM. Sarkozy, Herzog et Azibert. S’ouvrirait alors un délai légal de trois mois durant lequel le parquet peut rédiger son réquisitoire, tandis que les mis en examen sont en droit de formuler des demandes d’actes d’instruction supplémentaires. En cas de refus des juges, ils peuvent faire appel, ralentissant encore la procédure. Au terme de cette période, soit au plus tôt courant septembre, les avocats disposeraient d’un nouveau délai d’un mois afin de pouvoir répliquer aux réquisitions du procureur. Dans cette hypothèse haute, les juges pourraient techniquement signer leur ordonnance de renvoi au mieux à partir du mois d’octobre… en pleine campagne pour la primaire. Encore faudrait-il ensuite audiencer le procès, ce qui prendrait plusieurs mois, auquel cas il tomberait en pleine présidentielle. Une perspective totalement inenvisageable : en vertu d’une règle non écrite, s’agissant des dossiers à connotation politique, les magistrats observent généralement une « trêve » au moment des échéances électorales.

Selon nos informations, deux dates d’audience possibles qui avaient, au début de l’année, été discrètement « réservées » par la justice en prévision d’un éventuel procès devant le tribunal correctionnel de Paris, ont été récemment libérées pour d’autres audiences…

Un éventuel procès ne pourra donc se tenir qu’après l’élection présidentielle. Mais à cette date, si Nicolas Sarkozy était redevenu chef de l’Etat, il se retrouverait de facto à l’abri de la justice en vertu de l’immunité attachée à sa fonction. Dans le cas contraire, le procès d’un homme probablement retiré de la vie politique ne présenterait évidemment plus pour ce dernier le même enjeu.