« En modifiant la pondération des actifs détenus pour avoir un portefeuille « COP21 », les investisseurs font pression sur les entreprises afin que ces dernières diminuent leurs émissions de carbone » (Photo: zone industrielle de Datong, Shanxi, en Chine, en 2015). | GREG BAKER / AFP

Par David Allouche, maître de conférences à Sciences Po

Le risque climatique est le risque le plus important du XXIe siècle. Concernés en première intention par la valeur des actifs qui contribuent au réchauffement de la planète, les acteurs des marchés financiers portent une responsabilité à la fois fiduciaire et éthique en termes d’investissements.

Résultats médiocres pour le marché du carbone

Afin de lutter contre le réchauffement climatique, une des propositions économiques a été de créer un marché du carbone et donc, de donner un prix à ce dernier. Force est de constater que le succès n’est pas au rendez-vous.

Le marché européen du carbone, qui est le plus ancien et le plus important en termes de volume, donne des résultats médiocres, avec un prix de la tonne qui varie depuis deux ans entre 5 et 10 euros. Ce prix extrêmement bas ne permet pas, à lui seul, de déclencher les investissements dans les technologies bas-carbone.

Comment favoriser les investissements durables ? Parallèlement au marché du carbone, les marchés financiers jouent et doivent jouer un rôle complémentaire. Les investisseurs, conscients que le risque climatique pèse et pèsera de plus en plus dans leur portefeuille, s’engagent aujourd’hui de manière volontaire en faveur du climat, conduisant à modifier le prix des actifs carbonés. Et ce, rappelons-le, dans une démarche qui tient plus de la prise de conscience du risque sur le prix de leurs actifs qu’à une vision morale.

Désinvestir ne suffit pas

L’action la plus évidente est le désinvestissement. Les investisseurs des marchés refusent de financer les entreprises dont l’activité émet trop de gaz à effet de serre. Mais désinvestir ne suffit pas. Il faut aussi investir dans des infrastructures éoliennes et photovoltaïques pour financer la transformation de l’économie afin qu’elle devienne bas-carbone.

C’est ce que demande par exemple le mouvement DivestInvest qu’a rejoint le très médiatique Leonardo Di Caprio en septembre 2015 : désinvestir de l’économie carbonée pour investir dans la transition énergétique.

La décarbonation des portefeuilles

L’investissement dans les « green bonds », qui s’est développé de façon exponentielle, est une voie d’avenir. Mais la solution la plus prometteuse est celle de la « décarbonation des portefeuilles ». Les investisseurs qui ne veulent pas exclure certains secteurs pour conserver une forte diversification, privilégient l’investissement dans les entreprises les moins émettrices et limitent la détention d’action d’entreprises très émettrices.

En modifiant la pondération des actifs détenus pour avoir un portefeuille « COP21 », les investisseurs font ainsi pression sur les entreprises afin que ces dernières diminuent leurs émissions de carbone. Il est à ce titre important de signaler que la France est en pointe sur le sujet. En effet, la loi de transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 portée par Ségolène Royal demande aux investisseurs de publier l’exposition de leurs portefeuilles aux risques climatiques.

Ne soyons pas naïfs, la mobilisation des acteurs financiers privés ne suffira pas à maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2°C. L’engagement des Etats est un préalable nécessaire.

Risque politique

Le plus grand risque dans les choix d’investissement liés au changement climatique est politique. Il y a bien sûr des incertitudes sur le scénario de réchauffement climatique et sur les impacts régionaux. Mais l’incertitude principale porte sur l’implication nécessaire des différents gouvernements.

L’un des bienfaits des marchés étant de fournir un prix public, ils permettent de révéler l’information prix des actifs carbonés (et non carbonés). Le prix n’est pas un signal de court terme puisqu’il intègre les anticipations à long terme des marchés financiers. L’évolution des prix fournit aux gouvernements un indicateur précieux, permettant de rapprocher la politique climatique de la politique monétaire.

Les décideurs politiques pourront ainsi apprendre des réactions du marché et affineront ensuite leur pilotage, dans un cycle que l’on peut espérer vertueux.

David Allouche est coauteur, avec Isabelle Prigent, de « Marchés financiers, sans foi ni loi ? » (PUF, 168 pages, 20 euros)