Jean-Claude Junker, président de la Commission européenne. | Markus Schreiber / AP

Bruxelles fait actuellement face à un véritable dilemme : mercredi 18 mai, la Commission européenne doit rendre publiques ses « recommandations » pays de l’Union par pays de l’Union, c’est-à-dire son avis sur la trajectoire des finances publiques de chacun d’eux. Ont-ils ou non respecté le sacro-saint pacte de stabilité et de croissance (soit un déficit public inférieur à 3 % de leur produit intérieur brut et une dette sous les 60 % de leur PIB), ou, au moins, suivi les points d’étape fixés par Bruxelles pour y parvenir ?

Cette année, deux pays sont dans l’œil du cyclone : le Portugal et surtout l’Espagne. Ce dernier pays, sérieusement ébranlé par la crise financière, accuse encore un taux de chômage de plus de 22 % de la population active, et n’a toujours pas de gouvernement définitif depuis les élections législatives de décembre 2015. Son déficit public 2015 est à 5,1 % du PIB, soit près de 1 point de plus qu’attendu (l’objectif fixé par Bruxelles était de 4,2% du PIB). Or, selon les règles du pacte, révisées en 2013, afin de renforcer la surveillance budgétaire des pays en zone euro et rassurer les investisseurs sur la pérennité de la monnaie unique, un pays qui ne respecte pas ses engagements s’expose à des sanctions.

Processus complexe

La France s’était retrouvée dans une situation à peu près comparable, au printemps 2015, quand il apparaissait qu’elle n’avait pas respecté la trajectoire budgétaire fixée deux ans plus tôt par Bruxelles. Mais elle avait échappé à la sanction grâce à un rapport des fonctionnaires de la puissance direction générale Ecfin de la Commission, qui émettait des doutes sur le chiffrage de l’« effort structurel « hexagonal (l’effort de réduction des déficits entrepris au travers des réformes) pour l’année 2014.

Concernant l’Espagne, le dépassement des objectifs est sans appel. En toute logique, Bruxelles devrait lancer un processus complexe, risquant de déboucher sur une sanction financière à l’encontre de Madrid, pour n’avoir pas respecté ses objectifs de déficit en 2015. Concrètement, la Commission pourrait lancer mercredi ce « stepping up », dans le jargon bruxellois, en constatant d’abord que les actions nécessaires à la réduction du déficit 2015 n’ont pas été effectuées, et en envoyant cet avis au Conseil, la réunion des 28 pays membres.

A ce dernier de décider si une sanction doit être appliquée ou pas à l’encontre de l’Espagne. Elle peut se présenter sous la forme d’une somme d’argent que Madrid devrait verser sur un compte, et qui lui serait réattribuée une fois le déficit revenu dans les clous du pacte. La sanction peut aussi prendre la forme de suspensions du versement de fonds structurels européens, les projets à caractère social, de lutte contre le chômage, etc. devant cependant être épargnés pour ne pas pénaliser la population et l’économie du pays.

Même cas de figure concernant Lisbonne, avec un déficit public de 4,4% du PIB en 2015 contre un objectif attendu de 2,5% qui aurait permis au pays de la procédure, contraignante à Bruxelles, des « déficits publics excessifs ».

Mais de deux choses l’une. Soit Bruxelles déclenche le processus, inédit pour un pays de l’importance de l’Espagne (seule la Hongrie en a fait l’expérience, en 2012). Dans ce cas, la Commission s’exposerait sans doute aux virulentes critiques des eurosceptiques mais pas seulement, pointant la cruauté et l’absurdité d’un dispositif sanctionnant des pays qui ont pourtant souffert de la crise, se sont appliqué des régimes d’austérité draconiens pour en sortir et qui, dans le cas de Madrid, ne dispose toujours pas d’un gouvernement stable.

Dans le cas de Lisbonne, Bruxelles sanctionnerait un nouveau gouvernement, une coalition de gauche, fragile, installé depuis quelques mois seulement, et qui « paierait » pour les erreurs de l’équipe précédente, conservatrice.

Choix très politique

Soit la Commission préfère fermer les yeux, pour éviter davantage de « Bruxelles bashing » à l’heure où elle est déjà de plus en plus impopulaire dans les opinions publiques. Mais elle prend le risque d’ébranler la confiance retrouvée des investisseurs dans le pacte de stabilité, souvent qualifié d’ancrage essentiel de l’euro par Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne…

Selon nos informations, les commissaires Valdis Dombrovskis et Pierre Moscovici, chargés de ces questions, seraient favorables au lancement du processus pouvant aboutir aux sanctions mais le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, hésiterait encore. Ce dernier, ainsi que les 27 commissaires européens, devront en tout cas faire un choix, très politique, ce mercredi.