Par Ralf Fücks, président de la Fondation Heinrich-Böll et Jens Althoff, directeur du bureau de Paris de la Fondation Heinrich-Böll

Une petite « révolution verte » a eu lieu hier à Stuttgart, dans le sud de l’Allemagne, un moment historique passé presque inaperçu chez nos voisins français. Dans le Land de Bade-Wurtemberg, l’écologiste allemand Winfried Kretschmann, ministre-président sortant, a été réélu chef du gouvernement après les élections parlementaires de la région en mars. Die Grünen (les Verts) avaient remporté ces élections avec 30,3 % des voix et sont ainsi devenus le premier parti, devançant la CDU conservatrice. Cette fois-ci, plus personne n’a prédit la « ruine de la région » comme cela s’était produit lors de la première élection de Winfried Kretschmann il y a cinq ans. Même l’organisation patronale Arbeitgeber, le Medef du Bade-Wurtemberg, a déclaré que le vote des citoyens devait être respecté et ainsi que M. Kretschmann devait être réélu. La CDU a gouverné le Land de Bade-Wurtemberg de 1953 à 2011. Cette fois, les Verts et la CDU se sont engagés dans des négociations pour arriver à une majorité, dirigée par les Verts.

Comment une telle « révolution verte » a-t-elle pu être possible dans le sud de l’Allemagne, une région traditionnellement conservatrice ?

Le premier ministre-président écologiste de l’histoire de l’Allemagne a été élu en mars 2011, quelques jours après l’accident nucléaire de Fukushima. Ce résultat avait alors été perçu comme un « accident de l’Histoire », engendré par les effets exceptionnels de la catastrophe nucléaire sur le débat et l’opinion publique. L’élection d’un premier ministre de région ou ministre-président, selon la région, est un événement non négligeable du fait de l’étendue des domaines de compétences des Länder allemands et des prérogatives attachées à cette fonction. Ainsi, les femmes et les hommes qui occupent ces postes ont une place de premier plan dans la République fédérale : ils forment un gouvernement et dirigent l’administration de la région, sont responsables de la police, des écoles et des universités. Les Länder allemands perçoivent directement une partie des impôts, ils ont donc leur propre budget et mènent leur propre politique économique. Le Bade-Wurtemberg a, en plus, la particularité d’être l’un des fiefs de l’industrie automobile allemande, il compte également de grandes entreprises d’électrotechnique, des constructeurs des machines-outils et présente une combinaison unique entre PME et grands groupes.

Prospérité

Quand les Verts ont pris le pouvoir il y a cinq ans, dans une coalition avec les sociaux-démocrates du SPD, beaucoup d’observateurs, de chefs d’entreprise et surtout la CDU ont prédit la ruine du Land. Cinq ans après, le constat est tout autre : la région Bade-Wurtemberg prospère. Economiquement, elle compte parmi les plus fortes d’Europe. En 2015, le taux de chômage était de 3,8 % et le taux de croissance de 3,1 %, ce qui représente presque le double de la moyenne allemande. En 2013, on comptait déjà 40 000 personnes employées dans le secteur des énergies renouvelables, elles étaient seulement 20 000 en 2008, et leur nombre continue de progresser.

Depuis 2011, le gouvernement mené par les Verts est engagé dans la modernisation écologique de l’économie de la région : le développement des énergies renouvelables a été accéléré, et l’entreprise d’énergie EnBW, qui appartient à l’Etat de Bade-Wurtemberg, s’est orientée dans le développement des énergies renouvelables. Une loi ambitieuse pour la protection du climat a été adoptée, ainsi qu’une série de mesures pour promouvoir l’innovation écologique et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

En particulier, le découplage entre la croissance économique et l’utilisation des ressources est une question-clé pour la transformation écologique. Elle ouvre aussi un champ de possibilités pour des technologies et des produits respectueux de l’environnement. De plus en plus d’entreprises voient aujourd’hui ce développement comme une chance et plus comme une menace. Avec le soutien du gouvernement du Bade-Wurtemberg, beaucoup d’entreprises, surtout des PME, se sont orientées vers l’efficacité des ressources, les matériaux respectueux de l’environnement et des modes de production durables.

Une politique déterminée pour la protection du climat n’est aujourd’hui plus perçue comme une menace, mais au contraire comme un moteur pour l’économie.

Il est vrai que Winfried Kretschmann est un homme politique d’exception. Il jouit d’une très forte crédibilité, il cherche le dialogue avec les citoyens de toutes les franges de la société et représente sa région de manière convaincante. De plus, il a mené une campagne électorale très habile : contrairement au candidat de la CDU, Guido Wolf, il a soutenu la politique d’accueil des réfugiés menée par Angela Merkel. M. Wolf a essayé de prendre ses distances avec la politique de la chancelière sans clairement la contredire.

Cependant, tout cela ne suffit pas à expliquer comment Les Verts sont devenus, pour la première fois en Allemagne, le premier parti d’un Land avec plus de 30 % des suffrages. Il a aussi fallu que les citoyens et les acteurs économiques fassent l’expérience des conséquences d’une politique économique respectueuse de l’environnement. Dans la région, une politique rigoureuse, cohérente et déterminée pour la protection du climat n’est aujourd’hui plus perçue comme une menace pour l’économie, mais au contraire comme un moteur pour l’innovation, pour l’investissement et pour l’emploi.

Intégration

De surcroît, la puissance économique du Bade-Wurtemberg n’est pas due à une politique économique néolibérale. Les salaires sont sensiblement plus élevés dans la région que dans le reste du pays. Le système éducatif et universitaire se porte mieux que dans les autres Länder allemands, et il en va de même pour le paysage culturel riche de la région. Enfin, les résultats de la politique du gouvernement mené par M. Kretschmann sur le plan de l’intégration des migrants placent le Bade-Wurtemberg parmi les bons exemples en Allemagne.

En somme, l’expérience de la transition écologique menée par la région gouvernée depuis 2011 pourrait être appliquée pertinemment au-delà des frontières du Bade-Wurtemberg. Comme le montre cet exemple, une politique écologique moderne, fondée sur la coopération et l’innovation, et une bonne politique économique ne sont pas incompatibles, bien au contraire. Les énergies renouvelables, la mobilité électrique, les technologies d’efficience, les matériaux biologiques et l’économie circulaire représentent des opportunités importantes pour les marchés du futur. Ceux qui laisseraient passer ce rendez-vous pourraient bien perdre sur le plan de la compétitivité.

A partir d’aujourd’hui, nous allons pouvoir observer une autre expérience dans la région, le fonctionnement d’une coalition menée par les Verts et avec la CDU. Cela aussi est inédit en Allemagne. Le déroulement de cette expérience pourrait avoir une influence sur les élections législatives qui auront lieu à l’automne 2017. Par conséquent, cela pourrait bien valoir la peine pour les Français de jeter un œil par-dessus la clôture de leurs voisins…