A Paris, certaines stations-service sont prises d’assaut par les conducteurs, craignant une pénurie de carburant en raison des blocages des raffineries françaises par les opposants à la loi travail.

Ainsi, mardi 24 mai, à la station-service « Maréchal Leclerc » de la porte d’Orléans à Paris, il reste du carburant pour tout le monde. Mais pas pour faire le plein. Afin que chacun soit servi, les pompistes ont décidé de rationner le ravitaillement en essence à quarante euros par personne.

La limitation fait rouspéter. « Arrêtez ça, j’ai de la route à faire. Je suis venu pour le plein, je fais le plein », tente au guichet un jeune trentenaire en pantalon de jogging. Malgré les éclats de voix, le gérant de la station-service demeure inflexible : « Si j’avais fait comme tu me le demandes pour les autres avant toi, il n’y aurait déjà plus de carburant », explique-t-il fermement. Le jeune homme en jogging repart en râlant.

Comme lui, de nombreux automobilistes prennent leur mal en patience pour obtenir leurs « quarante euros » d’essence ou de gasoil. Le long du boulevard périphérique, la file d’attente improvisée des véhicules en quête de ravitaillement ne cesse de s’allonger. Pas moins de quinze voitures stationnent en permanence devant les pompes. « Je viens de faire 10 stations avant. C’était ou la pénurie ou une queue à n’en plus finir. Ici, on attend 30 minutes, mais au moins on a du carburant », explique Didier, 54 ans, employé à La Poste, qui prend sa voiture tous les jours pour aller au travail.

Tensions dans la queue avec les « doubleurs »

Dans la queue, la majorité des automobilistes venus chercher leur sans-plomb ou leur diesel reste philosophe. « On ne peut rien faire de toute façon », pointe Anna, 28 ans, qui travaille dans le marketing. « Moi je suis du côté des grévistes, j’espère que le gouvernement va prendre ses responsabilités », affirme Hamid, taxi de 42 ans. « Enfin, si la situation dure un mois, je vais avoir des problèmes de sous », souffle le chauffeur, spécialisé dans le transport médicalisé. Pendant qu’ils cherchent de l’essence, les chauffeurs de taxi ne sont pas payés, au contraire des fonctionnaires, comme Elie, informaticien au CNRS : « Au pire, je peux travailler de chez moi », explique-t-il, flegmatique.

Même si l’atmosphère se veut plutôt paisible, la tension et les klaxons ne sont jamais loin. Surtout quand certains automobilistes au réservoir bientôt vide se montrent moins enclins que d’autres à attendre leur tour. En marge de la queue principale, une file extérieure s’est formée, ce qui met plusieurs conducteurs en rage, dont Karim, un quinquagénaire en scooter. « Moi, je vais les bloquer, ces doubleurs », tempête cet enseignant qui se « fait remplacer », pendant qu’il « cherche de l’essence ».

Avec sa machine, il se met en travers de la deuxième file, empêchant de fait les « doubleurs » présumés d’avancer. « Je n’avais pas vu que je passais devant tout le monde, laissez-moi au moins partir », plaide une femme entre deux âges, sortie de sa voiture pour convaincre Karim. Après quelques remontrances, ce dernier obtempère. « Il va finir par y avoir des bagarres », observe Jamel Aktouche, salarié de la Mairie de Paris.

Pour assurer la fluidité du trafic, certains automobilistes s’improvisent agent de circulation. C’est le cas d’Andrey Das, qui aiguille les conducteurs entre les différentes pompes, au point que certains lui demandent des renseignements techniques sur le stock ou le paiement par carte bancaire. « Je fais ça pour que ça avance plus vite, les gens ne sont pas capables de s’organiser tout seuls », peste ce trentenaire qui exerce le métier de cracheur de feu. « Oui je sais, un cracheur de feu coincé dans une station essence, ça fait rire. Mais j’ai vraiment besoin de carburant. Je dois aller chercher une combinaison en banlieue. »