Volkan Tanaci (apiculteur référent), Jennifer Hallot et Dominique Céna dans le rucher de l’hôpital Robert-Debré. | Francisco BATISTA/RDB/APHP

Au centre de l’imposant bâtiment, les senteurs des plantes et des fleurs du jardin intérieur titillent les narines. Sur la terrasse, quatre ruches et quelque 200 000 abeilles s’activent. Nous ne sommes pas chez un apiculteur, et encore moins à la campagne, mais dans un hôpital du 19e arrondissement de Paris. En septembre 2015, l’hôpital universitaire Robert-Debré AP-HP, l’un des plus grands hôpitaux pédiatriques de France, a inauguré un rucher. Ce projet entre dans le cadre de la charte « Abeilles, sentinelles de l’environnement », créée en 2005 par Henri Clément, porte-parole de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF).

L’association se bat pour rappeler à tous que les abeilles sont indispensables à la biodiversité. Selon une étude de l’INRA et du CNRS datant de 2008, les butineuses sont à l’origine de 35 % des ressources alimentaires de la planète, tandis que 65 % de la diversité de nos repas dépendent de la pollinisation. Si l’importance de ces insectes pour notre alimentation est plutôt bien connue, leurs vertus pédagogiques et thérapeutiques sont plus souvent ignorées. Or, les abeilles sont en déclin et environ 300 000 colonies disparaissent chaque année.

Les apiculteurs lancent l’alerte, notamment lors des Apidays, un festival qui se tient du 16 au 18 juin dans plus de cent lieux en France et à Monaco. Trois jours pour « expliquer aux citoyens l’importance des abeilles pour le bien-être de l’homme et de la nature ». L’événement est ouvert à tous, et l’hôpital y a pris part en soumettant les noms des quatre ruches au vote du public.

« Des abeilles ? Dans un hôpital ? Avec des enfants ? »

Pour en arriver là, les démarches n’ont pas été simples car l’idée n’a pas tout de suite été bien accueillie. « Des abeilles ? Dans un hôpital ? Avec des enfants ? Beaucoup nous ont traités de fous. Mais c’est une réaction sensée, ça peut faire peur quand on ne connaît pas l’apiculture », explique Jennifer Hallot, responsable du mécénat et des partenariats de l’hôpital. Mais finalement, comme le souligne Dominique Céna, porte-parole adjoint de l’UNAF, « ce projet crée un très beau lien entre les abeilles, les éducateurs et les enfants, un lien social mais aussi thérapeutique. Cela leur permet d’oublier un peu leur maladie et de découvrir de nouvelles choses ». « C’est une forme de thérapie », abonde Jennifer Hallot.

Dans le service de psychiatrie de Robert-Debré, où sont soignés des enfants autistes, hyperactifs ou atteints de troubles de l’alimentation, les éducateurs spécialisés et l’équipe médicale développent des outils de médiation. L’une des cadres du service, Laurence Hannebicque, explique que « le jardinage ou les activités autour des abeilles permettent d’instaurer une relation avec les enfants, pour pouvoir plus facilement cibler les symptômes psychiatriques ».

Une source de savoir

Au-delà de l’aspect purement thérapeutique, le contact entre les enfants et les abeilles se révèle être un puits de connaissance. Anne-Françoise Thiollier, infirmière puéricultrice spécialisée dans les douleurs et les soins palliatifs, et passionnée d’apiculture, vante les mérites de l’insecte pour l’éducation : « Nous avons créé une ruche pédagogique, et à la place des abeilles, nous avons mis des photos qui retracent les étapes de la vie de la ruche, sans oublier les enjeux écologiques », raconte-t-elle.

La ruche pédagogique explique les étapes de la vie de la ruche aux enfants. | Francisco BATISTA/RDB/APHP

La directrice du centre scolaire de l’hôpital, Catherine Coupé, la rejoint et explique que l’abeille est un thème inépuisable qui permet de développer beaucoup de notions, et à tous les niveaux de la scolarité : « En histoire en CE2, on peut parler de l’évolution de l’abeille en lien avec le réchauffement climatique, au CP on peut apprendre à lire avec des albums sur les abeilles, en sciences en 6e on peut parler du butinage et de la reproduction des abeilles. On peut même faire de la géométrie avec la forme des alvéoles ! »

La ruche comme trousse à pharmacie

A terme, l’hôpital aimerait développer des soins à partir des produits de la ruche. Anne-Françoise Thiollier précise que le miel a des vertus incontestables de cicatrisation et d’aseptisation, et que l’hôpital a déjà expérimenté « des pansements faits à partir de miel, pour soigner une jeune fille qui avait des escarres ». Ce que confirment Dominique Céna et Henri Clément, qui considèrent que la ruche est une véritable pharmacie. La propolis, cette résine végétale utilisée par les abeilles dans la fabrication et l’entretien de la ruche, « c’est leur antiseptique ! Et le miel est une source reconnue d’énergie et de renforcement des défenses immunitaires », soulignent les apiculteurs de l’UNAF.

L’association a longtemps aidé à financer des projets de recherches scientifiques sur les oligoéléments du miel, et les deux porte-parole regrettent qu’aujourd’hui « les fonds soient mobilisés pour financer la lutte contre les pesticides ». Jeudi 16 juin, une pétition signée plus de 600 000 fois a été remise à la ministre de l’environnement Ségolène Royal par des ONG – dont l’UNAF – pour demander l’interdiction définitive des néonicotinoïdes, des insecticides nuisibles à l’abeille, lors de la nouvelle lecture du projet de loi sur la biodiversité, du 21 au 23 juin.