Les  fans de youtotubeuses en vogue à l’entrèe  du 1er salon promotionnel Get Beauty. | CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Un sourire, une accolade, un autographe, un selfie. Suivante. Horia est alignée, sous les projecteurs, avec deux autres stars de YouTube. Face à chacune d’elle, des centaines de jeunes filles entassées entre des barrières métalliques attendent patiemment leur tour. Le moment où, après une heure et demie d’attente, elles pourront, l’espace d’une minute, serrer dans leurs bras leur idole. Avant de recommencer avec une autre. Samedi 28 mai, quelques dizaines de youtubeuses beauté, mode et « lifestyle » étaient réunies au Parc Floral de Paris pour le tout premier salon français consacré à ce phénomène, Get Beauty. Un succès : 10 000 jeunes filles, de 10 à 16 ans pour la plupart, ont répondu présentes.

« C’est un rêve qui se réalise, j’ai envie de pleurer mais je me retiens », confie Annahita, 11 ans, le téléphone rivé sur Horia, le zoom numérique poussé au maximum :

« Horia nous donne du bonheur à chaque vidéo, elle est drôle, elle me remonte le moral. Ça fait longtemps que je suis ces youtubeuses. Elles m’ont beaucoup aidé dans la vie, notamment EnjoyPhoenix, car elle a vécu du harcèlement. Ça m’a aidée car certaines personnes ont été méchantes avec moi. Elle donne des conseils. »

EnjoyPhoenix, la youtubeuse française la plus populaire avec ses 2,4 millions d’abonnés, est la seule à manquer à l’appel. EmmaCakeCup, Jenesuispasjolie, Sananas, Caroline et Safia, célébrités des cours de récré, sont toutes là, debout derrière leur pupitre au milieu du brouhaha propre à ces grands salons, parfois émaillés de cris stridents adolescents. Une usine à rencontres : au moins dix-huit youtubeuses sont ainsi exposées en permanence, parfois trois heures d’affilée, sur les six espaces consacrés à ces rencontres, qui constituent l’essentiel du salon.

Les youtubeuses en vogue ont rencontré leurs fans lors du 1er salon promotionnel Get Beauty à Paris le 28 mai 2016. | CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE

« Si tu avais une licorne, tu l’appellerais comment ? »

Il y a aussi la grande scène, sur laquelle EmmaCakeCup, une grande brindille aux longs cheveux châtains, dont les vidéos sur l’épilation, ses séries préférées ou ses conseils minceur ont convaincu plus de 820 000 abonnés, s’évente avec un flyer. Quelques centaines d’ados se pressent pour lui poser des questions, mais malgré sa célébrité, cet espace est loin d’être le plus populaire du jour.

« On les regarde déjà répondre à des questions sur YouTube, nous, ce qu’on veut, c’est leur faire des câlins », explique Rania, 15 ans, entourée de deux copines de classe, venues de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis). C’est avant tout l’interaction et le contact physique, impossibles derrière la barrière de l’écran, que sont venues chercher ces milliers de jeunes filles. « Elles partagent leur vie, on a l’impression de vivre avec elles. Je commente souvent leurs vidéos, mais elles ne répondent jamais », regrette Rania. « Celles qui ont 20 000, 30 000 abonnés répondent, mais au-delà, non », complète son amie Mélissa.

Sur scène, les questions pleuvent, les réponses d’EmmaCakeCup fusent, toniques et laconiques.

« Qu’est-ce qui te fait le plus rire dans la vie ?
– Moi-même.
– C’est quoi ton plus grand rêve ?
– Faire le tour du monde.
– Si tu avais une licorne, tu l’appellerais comment ?
– Lola.
– Si ta mère te disait de ne pas faire de vidéo, qu’est-ce que tu dirais ?
– D’aller se faire foutre ! Non je rigole… Je lui dirais que c’est un moyen de m’exprimer, que c’est artistique.
– Est-ce que tu peux faire un “hello tout le monde” ?
– Tous ensemble ! »

La foule clame en chœur les quatre mots qui inaugurent chacune de ses vidéos. Sur un grand écran défilent les centaines de tweets publiés par les jeunes filles, qui ne lâchent jamais leur téléphone pour partager, sur Snapchat principalement, d’innombrables photos. Et les organisateurs du salon l’ont bien compris : tout est fait ici pour pousser au selfie. Des stands de marques proposent tout un attirail pour se mettre en scène devant l’objectif : perruques, guitares, cadre à la manière d’une vidéo YouTube… Les stars sont elles aussi conviées sur ces stands pour de nouvelles rencontres.

Les youtubeuses en vogue ont pu rencontrer leurs fans lors du 1er salon promotionnel Get Beauty | CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Garderie à parents

Ce qui a le don d’agacer certains parents, comme Martine, 49 ans, qui a accepté d’accompagner sa fille Violette, 12 ans. « J’ai le cœur qui bat, soupire l’ado quelques secondes après avoir rencontré Caroline. Je la regarde tous les jours, c’est ma préférée. » Sa mère, qui s’est chargée d’immortaliser ce moment, râle gentiment. « Je porte le sac, les provisions, je fais les photos et aussi la queue ! Je suis brave, quand même ! », s’exclame-t-elle en riant. Plus sérieusement, elle s’agace surtout de la présence des marques à l’événement :

« On est en train de former les consommatrices de demain, on explique aux fillettes qu’il faut se maquiller… Et elles sont de plus en plus jeunes, je trouve ça effrayant de voir des enfants de primaire ici. J’ai l’impression que l’on retourne en arrière, avec toujours les mêmes diktats de la beauté. »

Elle admet se rendre « complice » en accompagnant sa fille : « Mais ça lui fait plaisir, et je me dis que ça passera. Surtout, ce n’est qu’une partie de sa vie, elle fait aussi de la musique et du sport, on va au cinéma et au musée. »

D’autres sont plus bienveillants à l’égard de cette initiative, comme Adrien, chef d’entreprise quadragénaire, qui attend sagement sa fille dans la « garderie à parents » spécialement mise en place pour l’occasion. Dans cette grande salle vitrée et lumineuse, des dizaines de parents plus ou moins désemparés patientent sur des chaises et des canapés trop rares, au point de devoir parfois s’asseoir à même le sol :

« Il y a une ferveur pour ces youtubeuses, une impatience, c’est fascinant ! Qu’est-ce qui nous fascinait, nous ? Les chanteurs, les acteurs… Ces youtubeuses, avec leurs ordis, elles sont devenues des stars. Ma fille a des étoiles dans les yeux, et c’est le plus important. C’est une passion qu’elle vit avec ses meilleures amies, ce sont de bons moments, des souvenirs. »

« Mademoiselle-tout-le-monde »

Cette « ferveur » se répercute en coulisses, où l’équipe, débordée, s’agite dans tous les sens. Au milieu, un petit bout de femme énergique au sourire communicatif dirige et motive les troupes. « On ne s’arrête pas, on ne ralentit pas ! », crie-t-elle en frappant dans ses mains. Virigine Maire, l’organisatrice du salon, a encore quelques heures à tenir avant de pouvoir souffler. Et sabrer le champagne. Ce salon dont elle essuyait les plâtres a rempli ses promesses, et devrait connaître une deuxième édition en 2017. D’autant que les marques, qui n’étaient pas si nombreuses pour cette première édition, semblent s’y intéresser de près pour la suite.

« L’idée n’est pas qu’on se retrouve au rayon cosmétique du Printemps, assure néanmoins Virginie Maire. Pour les marques, il ne s’agit pas tant de vendre sur le salon, que de faire vivre une expérience, de développer un affect. » Un aspect marketing qu’elle assume, malgré les critiques : « C’est hypocrite de dire que sans ce salon elles n’achèteraient pas ces produits ! » Quant aux diktats de la mode que ces youtubeuses, et par conséquent ce salon, entretiendraient selon certains parents, elle s’en défend :

« Ce n’est pas du tout l’image que donnent ces youtubeuses, ce sont des mademoiselles-tout-le-monde. Elles prônent toutes le fait de s’assumer et d’être bien dans ses baskets. Ce ne sont pas des Eva Longoria, elles sont normales. Une s’appelle même “JeNeSuisPasJolie” ! EmmaCakeup fait des zooms sur ses boutons ! Elles ne sont pas photoshopées, elles sont naturelles, ce ne sont ni des mannequins ni des maquilleuses. »

Néanmoins, elles sont devenues de véritables professionnelles. Une partie d’entre elles gagne leur vie grâce à leurs vidéos, et elles ont pour cela dû acquérir toute une palette de compétences. « C’est beaucoup de travail, elles sont metteur en scène, monteurs, cadreurs, elles gèrent la lumière, le choix des produits, le community management. Ce sont des autodidactes qui ont développé de vraies expertises », explique Virgine Maire.

« Dear Caroline »,  youtubeuses en vogue lors du 1er salon promotionnel Get Beauty à Paris le 28 mai 2016. | CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Youtubeuses en herbe

Des professionnelles en apprentissage perpétuel, et dont certaines découvrent ce jour-là la réalité de ce nouveau type de star-system qu’elles ont créé. « C’est assez spécial… Ce qui m’a surpris, c’est qu’elles cherchent à me toucher, alors que je ne les connais pas… Certaines ont une voix tremblante, confie AllyFantaisies, une youtubeuse à 230 000 abonnés. Je ne comprends pas, pour moi je suis normale… Mais c’est vrai que quand je vois des youtubeuses que j’adore, je suis moi aussi impressionnée. » Elle est interrompue : « Un live pour LCI, ça t’intéresse ? », lui demande dans la précipitation un membre de l’organisation. Toute la journée, ces nouvelles stars sont ballottées d’un endroit à l’autre, enchaînant rencontres avec les fans, conférences sur la grande scène, interviews et présence sur les stands de marques.

Et cela en fait rêver beaucoup. Parmi les jeunes filles rencontrées, toutes ont déjà « fait semblant » de réaliser leurs propres vidéos, équipées d’un téléphone ou d’une caméra, comme on joue à la marchande. Certaines ont franchi le pas, et ont publié les leurs sur YouTube. Plus rares sont celles qui envisagent de se lancer sérieusement. Mélody est de celles-là. Contrairement à la plupart des autres, elle est venue ici à la recherche de conseils, et s’apprête à suivre une conférence pour apprendre à « créer sa chaîne YouTube et optimiser son audience ». Objectif : réussir à vivre de cette passion. Mais il lui reste encore beaucoup à apprendre : « Je veux savoir comment bien faire, quelles sont les erreurs à éviter. J’ai fait des essais, je ne suis pas encore contente, il faut que je travaille la voix. » Elle doit aussi s’initier au montage, et surtout, s’équiper de matériel de qualité.

Mélody est consciente que, contrairement aux débuts du phénomène, il n’est plus possible de « bricoler » une vidéo avec un simple téléphone, pour se faire une place au milieu de celles qui sont déjà devenues des professionnelles. Un projet qu’elle sait ambitieux : « Cet été, j’investis. »