Le ministre de la culture croate, Zlatko Hasanbegovic, le 16 mai dans son bureau à Zagreb. | BARBARA SARIC POUR "LE MONDE"

Ministre de la culture accusé de révisionnisme, Zlatko Hasanbegovic est le personnage le plus controversé du gouvernement ultraconservateur croate. Une tribune publiée mardi 24 mai dans Libération et signée par plusieurs intellectuels européens parmi lesquels Alain Finkielkraut ou Annette Wieviorka dénonce notamment son « idéologie » destinée à « mettre en cause les vérités historiques et les valeurs fondamentales » de l’Union européenne.

Depuis sa nomination, cet historien musulman, considéré comme l’idéologue du HDZ, le parti nationaliste au pouvoir, multiplie les attaques contre la presse, les ONG et les artistes au nom de la lutte contre les restes du communisme dans le pays. Il se défend dans un entretien au Monde.

Vous êtes très critiqué par les milieux culturels, plusieurs milliers d’artistes demandent votre démission, n’est-ce pas un problème ?

Je suis critiqué par une partie de la communauté culturelle et artistique, mais je suis soutenu par une autre. Je dois faire face à une sorte de guerre culturelle. Dans notre société postcommuniste existent en effet toujours des divisions sur les interprétations du passé, notamment yougoslave. Mais, dans mon cas, le cadre d’un débat courtois et civilisé a été dépassé. Il y a une hystérie, une campagne de diffamation, venant d’une pseudo-gauche qui continue à exercer une sorte d’hégémonie culturelle et sociale sans prendre en compte la chute du communisme.

Pourquoi avoir changé le directeur de la télévision ? Pourquoi 70 journalistes ont-ils ensuite dû changer de poste en quelques mois ?

Le chiffre de 70 journalistes me semble exagéré. Le directeur a été limogé selon la loi, par le Parlement croate, sur la base de la demande du Conseil de surveillance de la radio et télévision croate. Le ministère de la culture n’a pas été impliqué dans cette procédure. Le Conseil avait constaté de nombreuses irrégularités. Il a été changé de la même façon que la majorité précédente l’avait nommé il y a de cela quatre ans. Il avait aussi effectué des changements de postes de plusieurs dizaines de journalistes et de rédacteurs à son arrivée sur ordre du gouvernement de gauche. Mais, à ce moment-là, cela n’avait pas suscité autant d’intérêts de la part des cercles internationaux…

Même la présidente du comité croate pour les médias électroniques, l’équivalent de notre Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), a présenté sa démission pour protester contre vos méthodes…

Sa démission n’est associée à aucune de mes décisions. Une telle personne n’aurait toutefois pas dû être à la tête de ce conseil. Tout comme le directeur de la télévision, qui a été également président de l’organisation communiste de la jeunesse dans les années 1980, elle était une éminente journaliste liée aux structures du parti. Ils étaient tous les deux des symboles de l’influence des structures du régime communiste qui perdure malgré la chute de la Yougoslavie.

Est-ce que vous regrettez d’avoir fréquenté les sympathisants des oustachis dans les années 1990 ? Il y a cette photo où vous portez le béret oustachi…

Ce n’était pas un béret oustachi ! C’était en 1993 à Split il me semble, j’ai rencontré par hasard les membres des troupes volontaires de l’armée croate. Je me suis juste fait prendre en photo avec une partie de leur uniforme. Celui dont je portais le bonnet sur ma tête est mort deux ans plus tard dans la guerre de Bosnie. Et c’est un honneur pour moi d’avoir pu rencontrer un homme qui a donné sa vie pour la défense de sa patrie.

Est-ce que vous regrettez la défaite de l’Etat oustachi entre 1941 et 1945 ?

Je regrette que le peuple croate n’ait pas réussi à exercer son droit à l’autodétermination nationale après la seconde guerre mondiale. Chaque Croate vous fera la même réponse, comme chaque Lituanien, Letton ou Estonien. Je regrette qu’on se soit retrouvés contre notre gré dans la Yougoslavie, un système bolchevique antidémocratique. Mais, bien sûr, je ne regrette pas le régime oustachi, qui porte la responsabilité de nombreux crimes.

Vous avez été l’éditeur du penseur d’extrême droite français Alain de Benoist et du suprémaciste blanc Tomislav Sunic. Etes-vous toujours proche de ces deux hommes ?

La thèse de Tomislav Sunic est un travail universitaire de politologue sur la « nouvelle droite » européenne, soutenu aux Etats-Unis dans les années 1980. C’est un travail scientifique très apprécié, cela ne veut pas dire que je soutiens tout ce qu’il dit. En ce qui concerne Alain de Benoist, on dit qu’il est controversé, mais, d’après moi, il est l’un des plus grands intellectuels français. Nombre de ses travaux ont joué un rôle prépondérant dans ma formation intellectuelle.

Vous êtes l’un des organisateurs des commémorations du massacre de Bleiburg, où chaque année viennent défiler des nationalistes avec des symboles oustachis. Pourquoi continuez-vous d’y aller ?

Vous vous concentrez sur cinq provocateurs, les symboles oustachis sont un folklore marginal. Bleiburg est le symbole de la souffrance du peuple croate et de la persécution infligée par les communistes yougoslaves. Après la seconde guerre mondiale, ceux-ci se sont débarrassés d’une façon brutale de leurs opposants – pas seulement des militaires sans armes, mais aussi de civils. Il y a eu des exécutions brutales de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Et les crimes de Bleiburg ont été un des tabous les plus importants et les plus sévèrement gardés du communisme yougoslave.

Vous ne mettez pas autant de ferveur à commémorer l’insurrection du camp d’extermination de Jasenovac, où sont morts plus de 80 000 juifs, serbes ou gitans…

C’est votre impression, j’ai le même respect pour toutes les victimes de n’importe quelle guerre. Il y a une différence notable entre Bleiburg et Jasenovac. Pendant cinquante ans, il a été interdit de commémorer les crimes perpétrés à Bleiburg, alors que les manipulations des crimes perpétrés à Jasenovac et l’exagération du nombre des victimes étaient des éléments constitutifs du régime communiste yougoslave et de son idéologie.

Cette année, les organisations juives et serbes ont préféré boycotter la commémoration de Jasenovac plutôt que de venir avec vous. Le regrettez-vous ?

Certains juifs ! Certains Serbes ! Il y avait des représentants de l’Eglise catholique, de la communauté islamique, de l’Eglise orthodoxe serbe, un grand nombre des juifs croates éminents et l’ambassadrice d’Israël. Le boycott avait un arrière-fond politique lié aux rapports internes entre les partis croates. Je l’ai très mal vécu et j’ai exprimé mon regret.

Vous avez réussi à faire inscrire l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe dans la Constitution en 2013, est-ce que vous voudriez aussi interdire l’avortement ?

Il n’y a pas d’interdiction dans la Constitution croate, mais uniquement une disposition disant que le mariage est une union entre l’homme et la femme. Pour l’avortement, cela n’a jamais été à l’ordre du jour. La problématique n’a pas le même poids qu’en Pologne. L’avortement est un malheureux accident, mais il ne faut pas se comporter de manière sectaire. Les communautés religieuses doivent éduquer leurs membres à éviter l’avortement, aucune interdiction légale n’a jamais réussi à interdire ce phénomène.

Votre gouvernement s’est clairement rapproché du premier ministre ultraconservateur hongrois, Viktor Orban, qui n’a jamais caché son rejet de l’islam. Qu’en pense un musulman comme vous ?

Je ne vois pas en quoi Viktor Orban représenterait l’avant-garde de l’islamophobie. Il a certes pris position contre l’immigration. Mais toute sorte d’immigration chaotique et non contrôlée est un problème de société, pour les migrants comme pour le pays d’accueil. Si soudainement il arrivait une immigration incontrôlée de bouddhistes ou de taoïstes, les résistances à l’immigration seraient absolument identiques.

M. Orban ne conteste pas que l’islam fait partie de l’Europe, il a d’ailleurs récemment reçu le mufti de Bosnie. C’est la différence avec Alain Finkielkraut, qui pense que l’Europe n’est que judéo-chrétienne, qui critique l’islam et participe à la campagne de diffamation contre moi en me reprochant de mener une « alliance dangereuse entre le catholicisme intégriste et l’islamisme radical », ce qui a provoqué des éclats de rire en Croatie.