Alexandre Astier, le 24 août 2012 à Lyon. | JEFF PACHOUD / AFP

Je ne serais pas arrivé là si…

… Si je n’avais pas eu une mère qui m’avait appris la valeur du non-conformisme. Si je n’avais pas eu l’exemple, de sa part, que l’on peut faire les choses comme on veut, et pas comme on est censé les faire.

Comment vous a-t-elle appris cela ?

Il ne s’agit pas d’une leçon, cela passe simplement par ce qu’elle est : une idéaliste. Elle ne s’est jamais intéressée à l’argent. C’est comme si cela n’existait pas pour elle. Ce qui compte avant tout, c’est que les choses aient du sens. Prof d’art dramatique depuis très longtemps, elle est investie dans ce qu’elle fait, elle s’inquiète pour tout le monde, et ses élèves sont extrêmement attachés à elle. Et puis, je l’ai toujours entendue dire “merde”. On avait les huissiers qui cognaient à la porte toutes les deux semaines. Je l’entendais gueuler. Elle gueule encore, d’ailleurs ! C’est une Latine. Pour elle, il n’y a pas d’institution qui puisse représenter un quelconque exemple, ou une quelconque forme d’obligation de quoi que ce soit.

C’était facile à vivre ?

Elle m’a élevé seul. A 13 ans, j’en avais plein le dos. J’ai gueulé à mon tour et je me suis barré à 16 ans. Elle m’agaçait ! Encore maintenant, elle m’agace ! Mais aujourd’hui, à 41 ans – même si je n’ai pas du tout la même vie qu’elle (on n’avait pas un rond, et j’ai maintenant de l’argent) – je me rends compte que je lui ressemble beaucoup. Tout ce que je ne supporte pas dans le métier, l’hypocrisie, la notion de « milieu », cela vient d’elle.

Pourquoi être parti à 16 ans ?

J’ai quitté Lyon pour Paris et le conservatoire de musique. Un adolescent tout seul avec sa mère italienne, il faut qu’il dégage, ou alors il vit avec pour toujours. C’est ce que dit Freud : “Soit vous dégagez et vous êtes un héros, soit vous êtes dedans et vous êtes mort”. Et puis, comme le dit Guy Bedos : “Ce n’est pas parce qu’on est prêt à mourir pour le peuple qu’on est prêt à vivre avec”. Avec ma mère, c’est pareil. Au bout d’un moment, il me faut une distance, sinon je deviens dingue. Mais sans une mère comme elle, je ne serais pas là où je suis. Je dis beaucoup “merde”, “ça ne m’intéresse pas votre truc”, et cela ne s’améliore pas en vieillissant ! Dès que j’ai fini ce que j’ai à faire au boulot, je rentre chez moi retrouver mes cinq gamins. Je ne fais aucune mondanité. A une époque, je craignais que cela finisse par se voir. Maintenant ça se voit. Et cela m’est égal.

Enfant, vous aimiez l’astronomie et la musique, est-ce votre mère qui vous a aiguillé dans vos goûts ?

Astronome, quand j’étais petit, cela me faisait rêver. Musicien, en revanche, ne relevait pas de la passion. Mais j’étais dans une classe à horaires aménagés musique, donc mes journées étaient pleines de musique.

Cette classe particulière, c’était votre choix ?

Non, je ne voulais pas. J’ai été forcé par ma mère.

Avec quels arguments ?

Aucun. Des coups de pied au cul. Je lui disais : “Je n’en ai rien à faire de la musique”. Elle me répondait : “Tu verras plus tard, en tout cas, tu y vas”. Mais qu’on ne s’y trompe pas, môme, j’étais très heureux. Je ne sais pas pourquoi elle voulait absolument que je fasse de la musique. Elle vient d’un milieu ouvrier – mon père aussi –, il n’y a aucun musicien dans sa famille. J’ai fait un parcours très classique en formation musicale. J’apprenais à composer et je faisais de la contrebasse. Quand vous débutez assez tôt, à un âge où on peut vous mettre des coups de pied aux fesses, vous ne partez pas. Si j’avais fait ce cursus dix ans plus tard, j’en serais parti.

Des années et des années de musique, mais vous n’en avez pas fait votre métier…

De manière instinctive, j’avais peur qu’il me manque quelque chose. J’avais l’impression qu’il n’y avait pas de plaisir supérieur, en scène, que Coluche ; qu’on était un vrai héros lorsque les gens vous aiment pour ce que vous dites, parce que c’est le risque ultime. Il y avait là quelque chose qui me chatouillait. A 20 ans, je bouffais de la musique tous les jours, du matin au soir. Du classique, de l’American school, des profs d’arrangement, etc. A un moment, j’ai postulé pour une classe de jazz au conservatoire supérieur. J’avais tellement fait d’école, puis obtenu un prix, alors j’étais persuadé d’être accepté. Mais je n’ai pas été pris. J’ai trouvé cela très injuste. J’ai appelé ma mère. Elle m’a dit : “si tu n’y rentres pas, c’est que tu ne dois pas y être. Donc profites-en”.

C’était donc « profites-en pour faire autre chose » ?

Je n’ai vécu qu’avec des comédiens, pendant toute mon enfance, et je ne vois pas comment je n’aurais pas nourri une frustration. Même si j’ai vu ma mère beaucoup galérer.

Quels souvenirs gardez-vous d’avoir vu, enfant, vos parents sur scène ?

D’abord le privilège de passer derrière ; aller dans les loges, c’était dingue. Ensuite, avoir le trac pour quelqu’un qu’on aime, sans pouvoir rien faire. Et puis, par-dessus tout, la sensation d’avoir des parents qui n’étaient pas comme les autres, surtout quand on est élève dans un conservatoire, lieu qui reste très bourgeois.

Donc, vous n’êtes pas pris dans cette classe de jazz, et vous vous tournez vers le théâtre…

Oui. Ma mère a commencé à me caster dans des petits rôles, notamment dans des pièces de Labiche. Et puis j’ai proposé d’écrire et j’ai commencé à faire des courts-métrages. Sur chaque projet, je faisais aussi la musique.

Comment est née l’idée de la série « Kaamelott » ?

J’écrivais des comédies, mais toujours avec un petit fond hollywoodien : les maisons hantées ; Jekyll et Hyde… Mon deuxième court-métrage se déroule autour de la Table ronde, avec des mecs qui n’arrivent pas à se comprendre. J’aimais donner une version plus humaine et plus raté à quelque chose censé être grandiloquent, épique. Raconter la version quotidienne, j’ai toujours aimé ça.

Pourquoi ?

Les Américains ont tout pris : le roi Arthur, Alexandre Le Grand, Spartacus, etc. Ces films ont tous une chose en commun : les personnages ne dialoguent pas, ne parlent jamais normalement, ils prononcent des sentences. Et ils n’ont jamais de problèmes. Je ne crois pas à ça. Dans les plus beaux films qui existent, que ce soient les comédies italiennes des années 50 ou 60, ou même notre Grande vadrouille, il y a des gens très normaux. Une grande épopée où les personnages parlent comme dans les livres, c’est plus facile à faire. Et inattaquable. Mais imaginer des vrais humains fragiles au milieu d’une situation épique, c’est toujours ce qui m’a plu. Oui, dans « Kaamelott », il y a le Graal, la Table ronde, les chevaliers, mais derrière, il y a des hommes qui ont du mal à appréhender les situations.

Dans « Kaamelott », vous avez fait jouer votre mère, votre père, votre belle-mère, votre demi-frère. Pourquoi ce choix de travailler en famille ?

La dernière chose à faire aurait été de bouleverser toutes les raisons pour lesquelles les gens de M6 avaient ri et accepté la série. Dans ce que je fabrique, j’écris pour faire plaisir à des acteurs. Pas pour des personnages. Le plaisir est la condition sine qua non du jeu, l’aliment donné à l’acteur pour qu’il joue avec du sentiment. Ma mère m’a toujours beaucoup parlé de Molière, de l’œuvre et du bonhomme. Les personnages qu’on connaît de lui ont été écrits d’abord pour les acteurs.

Associer des proches permet de s’assurer de la connivence entre la personne et les textes, parce que vous la connaissez suffisamment pour écrire pour elle. Prendre ma famille, c’est faire plaisir à ma mère, à mon père, etc. Antoine de Caunes a été l’une des premières personnes qui m’a vraiment encouragé, et aimé ce que je faisais. J’étais impressionné, touché. En le connaissant, j’ai voulu l’associer. J’ai toujours voulu faire plaisir aux comédiens.

Vous avez écrit seul et vous revendiquez ce besoin de solitude. Pourquoi ?

Effectivement, j’ai écrit seul les 40 heures de « Kaamelott ». J’associe beaucoup ce que je fais à du jeu. Or, j’ai toujours joué seul au Lego quand j’étais enfant, j’ai toujours composé seul de la musique dans ma chambre quand j’étais adolescent. Je crois à la signature. Ecrire seul, cela aboutit à un truc certainement bourré de défauts, mais très signé.

Mais vous avez aussi réalisé, composé la musique, interprété le rôle principal… On entend dire que vous êtes un stakhanoviste du travail ?

Ah non, sûrement pas. Ce besoin de tout faire vient d’un paternalisme maladif sur le résultat. Je ne me dis pas “je vais tout faire”, je me retrouve à tout faire pour qu’on ne m’emmerde pas.

Comment avez-vous vécu le succès de cette série ?

Quand le succès est arrivé, dans les premiers mois de 2005, j’étais en plein tournage de la saison 2 et 3 et de l’écriture. J’ai été noyé de boulot pendant plusieurs années, sans pouvoir respirer. Le succès est arrivé pendant ce temps-là. Je l’ai vécu en bossant trop. Après, c’est devenu plus confortable en tournant à Lyon, près de chez moi. Je ne suis pas très sensible à la notoriété. Je n’ai jamais l’impression que c’est à moi qu’on s’adresse quand on vient me voir. Et puis bizarrement, le succès a nécessité que l’on préserve les choses. J’ai refusé les remakes européens, les sponsors, etc.

Est-ce facile de diriger ses parents ?

Oui. Vraiment. Personne ne veut être là par privilège, donc il faut mériter sa place. Mais comme c’est écrit complètement pour eux, cela va tout seul. J’ai remis mes parents ensemble dans la série, alors qu’ils se sont séparés quand j’avais un an. Mais ils se sont toujours marrés ensemble, ils étaient à leur place sur « Kaamelott ». C’est sûr.

Quels sont les artistes ou les œuvres qui ont pu influencer vos choix ?

Gérard Oury est certainement un modèle. Parce qu’il ne brade pas ses sujets. La comédie, pour lui, n’est pas un sous-genre, il veut des grands films de comédie. Quand il fait La folie des grandeurs, il y a les grands d’Espagne, des décors de qualité.

Dans votre loge, il y a toujours des mots d’encouragement de votre mère, affichés…

Mon régisseur se balade avec les mots de ma mère, ceux qui arrivent avec les bouquets Interflora. Il les garde, les étale sur la table. Chacun ses combines ! Certains picolent une bouteille de whisky avant de monter sur scène, moi mon rituel est plus sain. Ma mère est quelqu’un qui m’inspire, c’est vrai. Elle est protégée, et exempte de beaucoup de conneries et de facilités que mon milieu trimballe. Donc, évidemment c’est toujours très inspirant de lui parler.

Lorsque vous parlez des « conneries et facilités de votre milieu » : vous avez quoi en tête ?

Je n’ai pas envie de savoir tout ce qui se fait en ce moment, sinon je suis noyé. Je fabrique mes propres trucs et je n’ai pas envie d’en parler. J’adore mon métier, mais surtout le faire. Je n’aime aucun groupe. Je n’ai jamais pu. Comme disait Desproges : “Si on faisait une manif pour sauver mes gosses, je crois que je n’irais pas” !

Finalement, tous vos projets ramènent sans cesse à votre enfance ou à votre famille ?

C’est vrai. Complètement. Par exemple, je prépare un projet sur la bête du Gévaudan, parce que les Astier sont du Gévaudan depuis cinq siècles, et j’avais une grand-mère bergère en Lozère qui me parlait des loups quand j’étais môme, d’ailleurs cela me faisait peur. J’ai besoin d’aborder des sujets sur lesquels j’ai une conviction, c’est un moteur trop précieux, je ne peux pas m’en passer. Je suis nul à la commande. Avec ce qui a été précieux lors de mon enfance, comme l’astronomie pour « l’Exoconférence », j’ai déjà largement de quoi faire. Je ne prendrai pas le risque d’écrire quelque chose qui ne m’est pas intime.

Vous dites être obsédé par la mort, y penser tous les jours…

C’est vrai. Parce que tout passe vite. Il s’agit de raconter des choses un peu vraies aux gens ; il ne faut pas glander, il faut les faire. J’honore le privilège d’être payé pour ce que j’ai envie de faire.

Vous avez le projet d’une trilogie « Kaamelott » au cinéma, vous ne vous lassez jamais de ce sujet ?

Non, parce que c’est neutre, « Kameloot », on peut tout y dire. Ce n’est pas une histoire, mais un environnement, avec des règles. Une matière où il peut tout se passer, comme dans un jeu de rôle. Il y aura trois films, mais je prendrai le temps entre chacun d’entre eux pour faire d’autres choses. Mais je ferai du « Kameloot » un peu jusqu’au bout.

Finalement, quel est votre métier principal ?

Je galère toujours à le définir. J’aimerais que ce soit simple, car je crois au slogan. Je raconte des histoires, alors je dirais auteur. Mais ce que je fais de mieux, c’est écrire de la musique, c’est mon langage préféré. Donc, ce qui m’est intime, c’est compositeur.

Propos recueillis par Sandrine Blanchard

« L’Exoconférence », de et avec Alexandre Astier, mise en scène Jean-Christophe Hembert, samedi 11 juin à 20 heures à Bercy, AccorHotels Arena.

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