Nous sommes le 2 mai. Pour la deuxième fois, les usagers de Whats­App au Brésil enragent. Sur décision d’un juge, l’application ultra-populaire de messagerie et de téléphonie par Internet était bloquée, officiellement pour soixante-douze heures. Impossible d’envoyer ou de recevoir des messages.

Motif : la filiale de Facebook aurait refusé de coopérer avec la justice, qui exigeait d’elle la divulgation du contenu de messages échangés entre délinquants. Les usagers impatients ont migré chez la concurrente, Telegram. L’application a revendiqué, ce jour-là, 1 million de nouveaux utilisateurs. Lors du précédent blocage de WhatsApp au Brésil, le 17 décembre 2015, ce sont 5,7 millions d’adhérents que la rivale de Whats­App affirmait avoir gagnés. Celle-ci joue la carte de l’humour – forcé. La société tweetait, le 2 mai : « Mais, encore ??? P…, on se reparle dans soixante-douze heures. A tout à l’heure. #PartisurTelegram (rires)» Or Telegram serait une application appréciée des malfrats. Ses messages sont cryptés de bout en bout. C’est avec Telegram que les auteurs des attentats en France en 2015 auraient conversé pour planifier leurs attaques.

Mesure jugée « disproportionnée »

L’événement dit beaucoup sur le décalage de la justice avec les nouvelles technologies de communication. A écouter Dennys Antoniali, président du centre de recherche Internet Lab à Sao Paulo, le combat est mal engagé. A deux reprises, les coupures de WhatsApp ont été écourtées après un recours. La mesure a été jugée « disproportionnée ».

Bloquer WhatsApp au Brésil n’affecte pas seulement une poignée d’adolescents, mais des familles, des chefs d’entreprise, des scientifiques. De brillants chercheurs sur le virus Zika communiquent par le biais de WhatsApp. Un succès lié sûrement à la faible consommation de données de la messagerie et à l’ergonomie de l’application. Selon Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, qui a racheté la messagerie en 2014, plus de 100 millions de personnes (un Brésilien sur deux) auraient été pénalisées pour forcer l’entreprise à communiquer des données qu’elle ne possède pas (ses messages sont cryptés).

Regonfler l’orgueil national

Le blocage n’est pas une spécificité brésilienne. YouTube, Uber, Waze ont déjà subi des coupures ou des menaces d’interruption dans d’autres pays. Pour M. Antoniali, il s’agit souvent de regonfler l’orgueil d’une nation envers une multinationale qui ose défier ses lois. On tente de résoudre le problème par une injonction du type « le patron, ici, c’est moi », dit-il. Mais de rappeler : « Internet n’a pas de frontières » et, au-delà de la question de protéger ou non, à 100 %, les données des utilisateurs, il existe des accords, comme le traité d’assistance judiciaire mutuelle – signé par le Brésil et les Etats-Unis –, qui permettraient de parler plus sereinement. « Avant d’en arriver là, les blocages serviront plus à punir les Brésiliens qu’à résoudre les problèmes », concluait-il dans une tribune à O Estado de Sao Paulo, le 18 décembre 2015.