Anne-Marie Nzié. | DR

Depuis deux semaines, tous les regards étaient tournés vers l’hôpital central de Yaoundé, dans la capitale du Cameroun, où, la « Maman » de la musique camerounaise était hospitalisée dans le service de réanimation.

Le ministre de la culture était venu en personne à son chevet pour s’enquérir de son état de santé. Au lendemain de son hospitalisation, la nouvelle de sa mort avait embrasé les réseaux sociaux, radios et sites d’informations au Cameroun. Ce n’était alors qu’une rumeur, comme celle qui l’avait déjà « tuée » en 2013.

Anne-Marie Nzie - maa ye luk nleng me yog (Liberté - Ebobolo Fia 1984)
Durée : 03:17

Mais, dans la nuit du mardi 24 mai, la mort a finalement eu raison d’Anne-Marie Nzié. « Elle est décédée à 22 h 56. Elle est vraiment morte cette fois-ci, assure avec peine Jean Zang, son neveu. Elle laisse un très grand vide dans mon cœur. C’était ma maman. »

Surnommée « la voix d’or du Cameroun », Anne-Marie Nzié, 84 ans, était considérée par de nombreux mélomanes comme la « légende », l’« icône » et surtout, la « Maman » de la musique.

« J’avais 10 ans quand je l’écoutais chanter. Elle chantait tellement bien qu’elle m’a donné envie de devenir musicienne, témoigne en pleurs Marthe Zambo, l’une des icônes de la musique camerounaise, totalisant plus de quarante années de carrière musicale. Lorsque j’ai grandi, j’ai fait des concerts à ses cotés en France, en Italie, en Angleterre. C’était notre maman, l’idole. Nous n’avons malheureusement pas eu le temps de travailler ensemble sur un album ou une chanson. »

L’Olympia et la « Liberté »

Victime d’un accident vasculaire cérébral il y a quelques mois, Anne-Marie Nzié n’avait plus la force de s’adonner à ce qui constituait depuis plus de soixante ans son « grand amour » : la musique. Dès l’enfance d’ailleurs, la petite fille née en 1932 à Lolodorf, un village situé dans la région du sud du Cameroun, chante dans la chorale de son église.

Alors qu’elle est âgée d’une dizaine d’années, elle fait une chute d’un arbre qui la paralyse durant une partie de son adolescence. Clouée sur un lit d’hôpital, elle fait la promesse de chanter jusqu’à sa mort si elle guérit. Encouragée par son grand frère guitariste, Anne-Marie Nzié apprend à jouer et compose ses premières chansons.

Elle se lance dans une carrière professionnelle en 1954 et se marie avec un musicien. Elle enregistre plus tard son premier disque, « Mabanze », un 45-tours. Sa voix mélancolique, qui puise sa source dans la forêt équatoriale, séduit le monde entier. Anne-Marie Nzié enchaîne les tournées.

Lire aussi : Sapeurs sachant saper

Ses chansons sont un mélange de jazz, de rumba et de bikutsi, un rythme populaire au Cameroun. En 1958, sa collaboration avec l’auteur-compositeur et pianiste français Gilbert Bécaud la conduit tout droit aux portes de L’Olympia. C’est la consécration. Cependant, malgré cette gloire, la « Diva » tombe dans l’oubli durant près d’une décennie.

En 1984, sa chanson « Liberté », véritable hymne à la liberté des Noirs, relance sa carrière. Elle est reprise en boucle dans les boîtes de nuit, bars et autres lieux de rassemblement. Les hommes politiques de l’opposition l’entonnent durant leurs meetings. « A l’époque, Anne-Marie n’était pas contente que les opposants utilisent ainsi sa chanson. Paul Biya venait d’arriver au pouvoir [en 1982], se souvient Pierre, un retraité, fan de l’artiste. Elle ne pouvait rien car, elle avait chanté la liberté, comme seuls les grands esprits savent le faire. » Son succès inspire. Le journaliste David Ndachi Tagne lui consacre en 1990 une biographie, Anne-Marie Nzié, secrets d’or.

« La Cesaria Evora camerounaise »

Elle retombe dans l’oubli. Pour vivre, elle écume les petits concerts. En 2001, « la voix d’or du Cameroun » est fait chevalier de la Légion d’honneur par le gouvernement français. Une reconnaissance qui n’allège pas pour autant ses souffrances : comme ses nombreux confrères, la piraterie qui touche le secteur musical grève ses revenus, ses disques ne se vendent plus. Ses cris de détresse finissent par remonter jusqu’au président de la République. Pour lui rendre hommage, les autorités camerounaises organisent en 2008 ses soixante années de carrière musicale. Deux maisons lui sont construites : l’une à Yaoundé et l’autre dans son village. Une voiture, portant une plaque d’immatriculation marquée « La voix d’or du Cameroun » lui est offerte.

Dès lors, Anne-Marie Nzié ne manque plus une occasion de remercier son « fils Paul Biya ». Affaiblie par la maladie, ses sorties se font de plus en plus rares. Mathias Mouende Ngamo, journaliste culturel, se souvient d’une de ses dernières apparitions publiques en 2013, lors des Balafon Music Awards, cérémonie de récompense des artistes au Cameroun, où elle a reçu le Balafon d’honneur. « Elle a entonné sa célèbre chanson Liberté, reprise en chœur par le public qui lui a offert un standing ovation, relate-t-il le sourire aux lèvres. Même avec le poids de l’âge, elle n’a jamais songé à arrêter la musique. C’était sa raison de vivre. Anne-Marie Nzié était notre Cesaria Evora camerounaise et elle a montré le chemin à plusieurs artistes. »

« Tu as payé le prix afin que nous, jeunesse féminine d’Afrique, ayons le droit de vivre notre passion. J’imagine le nombre de coups que tu as dû prendre. Mais aujourd’hui, nous chantons en toute liberté. Et toi, tu es libre, libre de te reposer parce que tu as mené le bon combat », écrit sur sa page Facebook Kareyce Fotso, jeune artiste musicienne, finaliste du prix Découverte de RFI en 2009.

Dans sa maison, à la Cité verte à Yaoundé, Marlyse Bissa Binga, sa petite sœur, l’unique danseuse solitaire qui l’accompagnait sur scène ces dernières années, est inconsolable. Elle a perdu son « étoile », son « amie », sa « confidente ». « Anne-Marie Nzié aimait trop la musique, confie-t-elle. Elle est morte dans la chanson. Elle m’a donné l’amour de la musique. »