Fleurs déposées devant le commissariat de Mantes-la-Jolie (Yvelines) en hommage aux deux policiers assassinés. | MARC CHAUMEIL POUR LE MONDE

Une forme de mausolée a commencé à se former, tôt le matin mardi 14 juin, avec les bouquets de fleurs, les messages et la bougie déposés spontanément sous l’auvent du commissariat de Mantes-la-Jolie (Yvelines), près de la porte. C’est ici que travaillait Jessica Schneider, 36 ans, la jeune fonctionnaire assassinée à Magnanville, dans la nuit de lundi à mardi, par un homme se revendiquant de l’Etat islamique. C’est ici aussi qu’elle avait rencontré son compagnon officier de police, Jean-Baptiste Salvaing, avant qu’il soit muté aux Mureaux. Tué lui aussi, à 42 ans.

Depuis le début de matinée, des habitants viennent un à un, des jeunes surtout. Quelques-uns pleurent. Tous disent presque les mêmes mots. « On veut montrer qu’on est du côté des policiers, explique Nicolas, 23 ans, boulanger. C’est toujours les mêmes qui font ça. Il y a plein de gens radicalisés dans la ville, qui s’affichent sans problème. » Et Amandine, sa fiancée, qui porte une brassée de marguerites blanches : « On n’en peut plus. »

Venus de toute la région, les collègues de l’officier défilent, parfois syndicaliste comme lui, qui représentait la SCSI-CFDT au commissariat. « Un type très humain, proche de ses effectifs, tout le monde l’appréciait », explique Thierry Thiboust, de SGP-Police. Il s’excuserait presque de n’avoir que des compliments à faire : « On dit toujours ça quand quelqu’un meurt, mais lui, c’était vrai. »

Ailleurs en France, en arrivant au service, mardi matin, on a spontanément sorti les rouleaux de ruban adhésif noir des tiroirs et barré d’un liseré le logo police imprimé sur les tenues. C’est la tradition lorsqu’un policier meurt en service ou de façon violente.

Les proches des policiers aussi

A mesure que les informations arrivent de Magnanville, chacun prend conscience qu’il y aura un avant et un après ce double assassinat. Leur domicile n’est donc plus un sanctuaire. Leurs proches peuvent être visés. « Les risques du métier, c’est une chose assumée. Notre famille y est sensibilisée et vit avec. Mais jusqu’à présent, lorsqu’elle était inquiète, c’était au policier qu’elle pensait, pas à elle. Aujourd’hui, aucun d’entre nous ne peut admettre que nos proches puissent être frappés à cause de notre profession », explique Céline Berthon, secrétaire générale du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN).

Le risque, les agents apprennent à vivre avec, dès leur sortie d’école de police. Tous savent qu’un jour ils sont susceptibles de croiser l’homme qu’ils ont interpellé, chez lui, au petit matin, ou qu’ils ont interrogé des heures durant, en garde à vue. Evidemment, ces face-à-face peuvent susciter haine et rancœur. « On a tous eu des contrats sur nos têtes signés par des braqueurs ou chefs de réseaux », confirme Olivier Berton, délégué régional Alliance Lille. Lorsque la menace est trop personnelle et insistante, le policier est muté, mais cela reste exceptionnel.

L’ordinaire se résume à de l’intimidation. « Régulièrement, des crapaudsviennent repérer les véhicules en bas du commissariat, relèvent les plaques d’immatriculation », détaille Olivier Berton. « L’air de rien, les mecs retiennent ton visage. Certains m’ont reconnu au centre commercial d’à côté alors que je ne les croise que le matin quand je passe devant les cellules, en arrivant au commissariat », témoigne Sylvaine (dont le prénom a été modifié), policière en Seine-Saint-Denis. « Il m’est arrivé que certains me toisent dans la rue, alors que j’étais avec ma femme, confirme le syndicaliste lillois. Si le gars décide de vous sauter dessus, vous ne pouvez pas faire grand-chose. Mais ça n’arrive pas. Alors que là, on est monté d’un cran. »

Mardi 14 juin, une collégienne déposait des fleurs devant le commissariat de Mantes-la-Jolie, à la mémoire des deux fonctionnaires de police assassinés à leur domicile. | MARC CHAUMEIL POUR LE MONDE

Les consignes de prudence et discrétion

Les attentats de Charlie Hebdo avaient marqué un premier tournant, en janvier 2015. Après la mort de trois des leurs, les policiers avaient pris conscience d’être devenus des cibles. Dans les services, on a rappelé les consignes de prudence et discrétion. Ne pas rentrer chez soi en tenue, éviter de prendre les transports en commun seul. Ne pas diffuser d’informations trop personnelles sur les réseaux sociaux. La vigilance s’est accrue après la tentative d’attaque du commissariat de la Goutte-d’Or, dans le XVIIIe arrondissement, à Paris, en janvier.

Depuis l’instauration de l’état d’urgence après les attaques parisiennes du 13 novembre 2015, les fonctionnaires sont aussi autorisés à porter leur arme 24 heures sur 24. Certains avaient franchi le pas. La tuerie de Magnanville finira d’en convaincre d’autres. « Un commissaire de province m’a dit que sa femme lui a demandé, hier matin, de rentrer avec son arme », confirme Céline Berthon, du syndicat des commissaires.

« Le ministre [de l’intérieur] nous a annoncé que l’autorisation du port d’armes serait prolongée au-delà de l’état d’urgence », a déclaré Yves Lefebvre, secrétaire général d’Unité SGP-FO, après la réunion qui a rassemblé les syndicats de police, place Beauvau, mardi, en fin de journée. Cette mesure ne peut toutefois rien contre une attaque surprise. « En formation, on nous explique que si ton arme n’est pas sortie et qu’un gars déterminé, à moins de sept mètres, te fonce dessus, c’est trop tard », rappelle Sébastien, enquêteur en Seine-Saint-Denis.

Des policiers sur tous les fronts

Au cours de cette réunion, Bernard Cazeneuve a annoncé que les drapeaux des édifices du ministère seront mis en berne pendant trois jours. Une minute de silence sera par ailleurs observée mercredi 15 juin à midi « dans tous les services du ministère ».

Cet « abject assassinat », comme l’a qualifié le ministre de l’intérieur intervient dans un contexte où les policiers sont épuisés de tous ces mois de mobilisation, tout en étant sévèrement critiqués, après les interventions musclées survenues lors des manifestations contre la loi El Khomri.

Invité au « Journal de 20 heures » de France 2, le ministre leur a apporté tout son soutien : « Je voudrais dire l’indignation qui est la mienne face aux propos qui sont tenus depuis des semaines à l’égard des policiers, dont on a vu à quel point ils paient un lourd tribut, a déclaré Bernard Cazeneuve. Cet après-midi, dans les rues de Paris, où il y avait des hordes de manifestants violents, nous avons vu des manifestants crier “un policier, une balle, policiers, la France vous hait, après ce qui s’était passé hier. »

Les policiers sont sur tous les fronts depuis des semaines. « Ce sont les mêmes qui sont sur l’Euro, sur les manifestations, sur les opérations de maintien de l’ordre et mobilisés sur la lutte antiterroriste, confirme Céline Berthon, du syndicat des commissaires. Les mêmes qui sont attaqués à leur domicile. »