Au Japon, les yakuzas retrouvent leurs doigts
Au Japon, les yakuzas retrouvent leurs doigts
Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)
Pour masquer l’amputation de leurs phalanges, signe d’appartenance à un gang, les ex-membres de la pègre se tournent vers des prothésistes.
Le prothésiste Shintaro Hayashi le 27 mai 2013. | Toshifumi Kitamura/AFP
Avec l’ajout, le 15 avril, d’un nouveau membre sur la liste officielle des gangs au Japon, l’activité des prothésistes nippons pourrait faire un bond. En tout cas, pour ceux spécialisés dans les modèles de doigts pour yakuzas en quête de respectabilité.
En août 2015, la scission du Yamaguhi-gumi – le clan créé en 1915 sur les docks du port de Kobé (dans l’ouest du Japon), aujourd’hui le plus puissant de l’Archipel – a en effet donné lieu à la naissance du Kobé-Yamaguchi-gumi. L’agence nationale de la police (NPA) parle depuis de « guerre totale » et de « risque élevé pour la sécurité publique ». Et recense vingt et un incidents, dont plusieurs coups de feu, qui l’ont conduit à inscrire dans l’urgence le Kobé-Yamaguchi-gumi sur la liste des gangs nippons.
En signe de pardon
Cette décision facilite les procédures et devrait se traduire par des poursuites accrues contre les gangsters. Certains pourraient donc chercher à sortir du milieu. Et se refaire une virginité en se faisant poser une prothèse du doigt. Car pendant leur carrière, ils ont dû se plier au rite ancien dit du « yubitsume ». Cette pratique d’amputation d’une ou de plusieurs phalanges des doigts remonterait au temps d’Edo (1603-1868), quand les habitués des jeux interdits de l’époque, incapables de payer leurs dettes, se coupaient le doigt pour obtenir le pardon de leurs créanciers. Elle a perduré, sanctionnant des affronts contre l’oyabun, le boss du gang, des détournements de fonds ou autres manquements aux règles du groupe.
Des prothèses de doigts pour les ex-yakuzas
Durée : 02:10
Selon la police, près de la moitié des yakuzas étaient amputés en 1992. Mais, depuis l’adoption cette année-là de la première législation réprimant le crime organisé, le milieu y renonce peu à peu. Car la pratique reste un véritable marqueur du passé d’un voyou. Si bien que ceux qui souhaitent tirer un trait sur un épisode douteux de leur vie et retrouver une existence « normale » – se marier ou simplement « assister à un événement auquel participe un enfant ou un petit-enfant » – multiplient les démarches auprès des prothésistes, explique-t-on chez Aiwa Gishi, un spécialiste de Tokyo. Ils représenteraient 5 % de la clientèle d’Aiwa Gishi, qui fait une abondante publicité de cette activité sur son site Internet. Une prothèse coûte jusqu’à 2 700 euros et dure entre cinq et dix ans.
Mille nuances de couleurs de peau
A Osaka (dans l’ouest du pays), Yukako Fukushima s’est forgé une réputation dans le milieu par la qualité de son travail. Elle peut notamment décliner mille nuances de couleurs de peau. La police oriente vers elle les repentis en quête de respectabilité, et Mme Fukushima a déjà obtenu des récompenses du gouvernement pour son aide à la réinsertion des voyous dans la société.
Mais, malgré la « guerre » en cours, difficile d’imaginer un véritable avenir pour ce business. Outre la disparition progressive du yubitsume, l’Archipel ne comptait plus que 46 900 yakuzas en 2015, selon la police, soit 12 % de moins que l’année précédente. Un déclin régulier qui traduit une diversification des activités, la pègre jouant plus de la délinquance en col blanc et s’éloignant de ses rites traditionnels.