François-Marie Banier quitte le palais de justice de Bordeaux, lundi 23 mai. | GEORGES GOBET / AFP

Feue l’affaire Bettencourt. L’avocat général, Pierre Nalbert, lui préfère une autre expression : « L’affaire Banier. » « Le fond de ce dossier, c’est l’histoire d’une amitié trahie », a-t-il observé lundi 23 mai devant la cour d’appel de Bordeaux, en ouverture d’un réquisitoire sobre dans la forme mais sévère sur les peines.

A l’image de deux semaines de débats apaisés, l’avocat général s’est gardé de reprendre à son compte les considérations morales volontairement blessantes du tribunal, selon lequel François-Marie Banier aurait exercé une « emprise destructrice » sur Liliane Bettencourt. Il reconnaît au contraire l’amitié « réelle, ancienne » qui a lié le photographe à l’héritière de L’Oréal. « Il la distrait, il la cultive, il la fait voyager, il la sort de ses conseils d’administration où elle s’ennuie », a-t-il souligné.

Il n’a pas suivi non plus les parties civiles qui voient en François-Marie Banier un « prédateur » à l’origine du conflit familial entre Liliane Bettencourt et, sa fille, Françoise Meyers-Bettencourt. « Je ne l’accuse pas d’avoir créé ce conflit, je l’accuse d’avoir exploité l’incompatibilité de caractère entre la mère et la fille. Ce n’est pas un gourou, c’est quelqu’un qui a profité, qui a abusé de la situation », a annoncé l’avocat général.

Ce préalable a conforté l’efficacité de la suite de sa démonstration. Car c’est justement cette amitié « réelle et ancienne » qui, selon l’accusation, rend François-Marie Banier pleinement coupable des abus qui lui sont reprochés. Parce qu’il était « un familier, tout le temps à ses côtés », le photographe n’a pu ignorer la dégradation de l’état de santé de Liliane Bettencourt et sa vulnérabilité après l’accident dont elle a été victime en septembre 2006 à Formentor, sur l’île de Majorque. « Il y a un avant et un après Formentor. Elle pouvait bien sûr donner le change à ceux qui ne la rencontraient qu’à l’extérieur, mais certainement pas à François-Marie Banier qui la voyait dans l’intimité », a estimé l’avocat général. C’est à partir de cette date que, selon lui, « les libéralités consenties se transforment en abus de faiblesse ».

Banier légataire universel ? « Une folie »

Rappelant qu’à la veille du passage du franc à l’euro, en décembre 2001, le photographe avait déjà bénéficié « de plus de 400 millions de francs » (61 millions d’euros) de dons de la part de Liliane Bettencourt, Pierre Nalbert a observé que « François-Marie Banier a peu à peu développé une boulimie d’argent. C’est une relation qui a dégénéré ».

Pour l’avocat général, « la ligne rouge est franchie à la fois pour le montant de la libéralité et pour l’état de santé de Liliane Bettencourt », lorsque François-Marie Banier accepte, à l’automne 2006, d’être bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie de 260 millions d’euros (auquel il a renoncé lors de la convention de 2010 intervenue entre la mère et la fille) et plus encore lorsqu’il s’efforce de « sécuriser en urgence » le testament signé le 11 décembre 2007 par Liliane Bettencourt et qui faisait de lui son légataire universel.

« Une folie » qui constitue pour l’avocat général « la charge la plus lourde » contre le photographe. D’autant qu’aux mêmes dates, le compagnon de François-Marie Banier, Martin d’Orgeval – également poursuivi – obtient de son côté de Liliane Bettencourt le don d’œuvres de Marx Ernst et de Jean Arp. « Soit, en quatre jours, 450 millions d’euros de dons pour le couple », résume Pierre Nalbert.

« Il y a une nécessité d’exemplarité de la peine », a-t-il ensuite soutenu pour requérir la confirmation des condamnations prononcées en première instance, soit trois ans d’emprisonnement, dont six mois avec sursis, 350 000 euros d’amende, la confiscation de l’immeuble acquis grâce à l’argent de Liliane Bettencourt, ainsi que de 80 millions de dons à l’encontre de François-Marie Banier, et dix-huit mois de prison avec sursis et 150 000 euros d’amende à l’encontre de Martin d’Orgeval. Il s’en est remis à la cour pour évaluer le montant des dommages et intérêts.

L’avocat général a également demandé à la cour de retenir contre l’avocat Pascal Wilhelm, qui fut le mandataire de l’héritière de L’Oréal, une amende sans peine d’emprisonnement (il a été condamné à 250 000 euros et trente mois avec sursis par le tribunal). Il a en revanche requis la relaxe du notaire Jean-Michel Normand.