Drapeaux en berne, à l’ouverture du Salon de l’E3, en hommage aux victimes de la tuerie d’Orlando. | Nick Ut / AP

« Il est important que nous prenions un moment pour évoquer la tragédie bouleversante d’Orlando [Floride]. Ces événements montrent que nous avons besoin de plus d’amour, de tolérance, et de respect pour les gens quels qu’ils soient. Nous pensons qu’au sein de la communauté des joueurs, nous pouvons trouver du soutien. »

Le message est sobre, les applaudissements nourris. Il a été délivré quelques minutes après l’ouverture de la conférence de Sony au Salon du jeu vidéo E3. Le plus grand événement mondial de l’industrie a démarré à Los Angeles (Californie), dimanche 12 juin, quelques heures à peine après la tuerie du Pulse, qui a fait quarante-neuf morts dans cette boîte de nuit prisée de la communauté LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres).

La même scène s’est répétée de conférence en conférence, dans un petit monde du jeu vidéo habitué à faire la fête durant cette grand-messe.

« Chez Nintendo, nous cherchons à faire sourire nos amis. Mais cette année, l’actualité est triste », a dit Reginald Fils-Aimé, le directeur de Nintendo aux Etats-Unis. Il a demandé une minute de silence, au début de la présentation du constructeur japonais, à la mémoire des victimes du Pulse mais aussi de Christina Grimmie. Cette jeune chanteuse, abattue le 10 juin, alors qu’elle se produisait à Orlando, est décédée le 11 à l’hôpital, la veille de l’attentat perpétré par Omar Mateen. Elle devait participer à l’E3.

Ubisoft a même interrompu une conférence qui avait débuté par une scène de danse costumée collective un peu loufoque et acidulée, pour exprimer ses condoléances aux victimes.

« Je voudrais prendre un moment qui va vous paraître un peu incongru et peut-être rendre mal à l’aise pour certains d’entre vous. Il n’y a pas de manière simple de le faire mais il nous a paru avec force qu’il fallait le faire, s’est justifiée l’actrice et animatrice américaine Ashia Tyler. Tout le monde ici, à Ubisoft, veut exprimer ses profondes condoléances aux victimes d’Orlando et à leur famille, et envoyer de tout notre cœur des pensées de Paris, de la France, des Etats-Unis et du reste du monde. »

Sécurité renforcée

Solidaire, l’industrie du jeu vidéo s’est aussi montrée inquiète pour sa propre sécurité. Après la tuerie d’Orlando, l’E3, qui attire des dizaines de milliers de visiteurs chaque année, a légèrement revu ses mesures de sécurité.

« Bien sûr, nous nous sommes posé la question », explique un cadre de Microsoft, qui organise chaque année une gigantesque conférence au Galen Center, une salle de 10 000 places dans le centre de Los Angeles.

Ailleurs, pour les conférences de Bethesda ou d’Electronic Arts, les spectateurs ont dû passer des détecteurs de métaux – des dispositifs déjà prévus avant la tuerie, mais les fouilles ont été renforcées pour certaines des conférences, entraînant parfois des retards.

Sans virer à la psychose, l’ambiance était notablement plus lourde que lors de précédentes éditions de l’E3. D’autant plus qu’un autre homme lourdement armé, qui projetait selon la police de s’en prendre à la Gay Pride qui se tenait à West Hollywood, tout près de Los Angeles, avait été arrêté le matin même. L’explosion d’un feu d’artifice, peu avant le début de la conférence de Bethesda, a ainsi fait sursauter une bonne partie de l’assistance.

« Quand on s’en prend à la manière de vivre des Occidentaux, alors le jeu vidéo peut être une cible », analyse Julie Chalmette, directrice de Bethesda France. L’événement de l’éditeur avait d’ailleurs été indirectement perturbé : suite au renforcement des mesures de sécurité, de nombreux journalistes n’avaient pu rentrer dans la salle avant la fermeture des portes. « Mais ce n’est pas juste notre événement qui est impacté, c’est tout le Salon. C’est un E3 sous tension », a déclaré Mme Chalmette.

« Des messages qu’on n’a pas envie de donner »

En plein débat sur l’accès aux armes à feu, les hommages aux victimes ont pris un tour particulier, alors que les conférences sont l’occasion de présenter, parrfois, de nombreux jeux violents.

Microsoft, qui a appelé la « communauté des joueurs à témoigner de sa solidarité avec les proches des victimes », présentait ainsi de Gears of War 4, un jeu de tir futuriste. Un éditeur a pour sa part préféré retirer au dernier moment un slogan jugé trop sanguinaire. « Il y a des messages qu’on n’a vraiment pas envie de donner en ce moment », explique Mme Chalmette. Et de rappeler qu’en novembre 2015, suite aux attentats de Paris et de Saint-Denis, Bethesda avait choisi d’annuler sa campagne de communication sur le jeu post-apocalyptique Fallout 4.

Pourtant, cette édition de l’E3 comptait un faible nombre de jeux de tir réalistes. Ces derniers étaient quasiment tous situés dans des univers de science-fiction ou de zombies. Même le prochain Call of Duty, la licence phare des jeux de guerre, a abandonné les conflits contemporains pour proposer une aventure dans l’espace, tandis que Battlefield 1 campe un conflit du XXe siècle, la première guerre mondiale.

Les créateurs pris à partie sur les réseaux sociaux

Alors qu’aux Etats-Unis comme en Europe, le débat sur la violence dans les jeux vidéo revient à intervalles réguliers lorsque surviennent des attentats ou des faits-divers, la plupart des éditeurs ont préféré ne pas s’aventurer sur le terrain politique, se contentant de déclarations vagues.

« Tous les parents, et toutes les personnes qui veulent faire entendre leur voix dans ce pays, doivent réfléchir à la manière dont nous voulons faire évoluer notre culture, et agir », a réagi Reginald Fils-Aimé dans le Washington Times.

Les créateurs de jeux, dont certains ont été directement pris à partie sur les réseaux sociaux par des personnes leur reprochant de promouvoir la violence, ont eux été plus directs. Sur Twitter, Cliff Bleszinsky, créateur du jeu de tir Gears of War et fervent défenseur de lois plus strictes sur la vente d’armes, a été apostrophé par un internaute qui l’accusait de tenir un double discours, alors qu’il présente cette semaine un nouveau jeu de tir appelé Law Breakers (« Les hors-la-loi »). « On appelle ça de la fiction, espèce de connard », a rétorqué M. Bleszinsky.